Le réalisateur suédois Bo Widerberg est à l’honneur en cette réouverture des salles de cinéma. L’occasion de (re)découvrir son œuvre, avec six de ses films, première partie d’une large rétrospective. Indépendance, idéalisme et résistance au programme.
Le Péché suédois (1963), Le Quartier du corbeau (1963), Amour 65 (1965), Elvira Madigan (1967), Adalen 31 (1969) et Joe Hill (1971) sont déjà sortis restaurés, entre 2014 et 2015. Ce mois de juin 2020 les réunit dans une première partie bienvenue de l’intégrale consacrée à Bo Widerberg. Tom Foot (1974) devrait suivre en solo en avril 2021, avant le second volet de l’événement, sans date encore précise, comprenant ce dernier, mais aussi Un flic sur le toit (1976), L’Homme de Majorque (1984), Le Chemin du serpent (1986) et La Beauté des choses (1995). Cet ultime film de l’auteur, en salle avant le confinement, est encore projeté sur certains écrans, qui peuvent l’ajouter à la rétro. Deux titres sont en attente pour la salve future : Heja Roland ! (1966) et Victoria (1979).
Voir les six œuvres du premier volume, aujourd’hui, dans leur chronologie, confirme les obsessions du cinéaste. Tous ses protagonistes aspirent à la liberté. Liberté d’agir, d’aimer, de s’exprimer. Britt (Le Péché suédois), Anders (Le Quartier du corbeau), Elvira et Sixten (Elvira Madigan), Kjell (Adalen 31) et Joe (Joe Hill) s’affranchissent des diktats. Ou, en tout cas, font tout pour, et quel qu’en soit le prix. Même celui de leur vie. Seul Keve, le réalisateur au cœur d’Amour 65, est un indécis, et l’incarnation même du doute. Crise d’inspiration, affres de la création et flou conjugal se tirent la bourre. Ce double de l’auteur n’a rien à voir avec Anders, l’aspirant écrivain déterminé du Quartier du corbeau, miroir du jeune Widerberg, qui ne lâche pas ses idéaux, jusqu’à fuir le foyer familial ouvrier, qu’il veut justement révéler au grand jour dans ses écrits.
À la respiration urbaine et juvénile en noir et blanc très « Nouvelle Vague » du Péché…, inspiré par ses contemporains français Truffaut et Godard, succèdent la précision stylistique et la force romanesque du Quartier… – pièce maîtresse -, avant la variation jazz très Cassavetes d’Amour 65, et le lyrisme hédoniste et sans fioritures d’Elvira Madigan. Ces trois opus conduisent aux fresques transcendant le déterminisme social et l’étouffement tragique des voix qui s’élèvent, quels que soient les lieux et les époques, dans Adalen 31 et Joe Hill. Les hommes défient l’ordre établi. Les femmes refusent l’asservissement et le patriarcat. Libertaire, déculpabilisé, engagé, le cinéma de Widerberg allie des recherches stylistiques variées passionnantes, du jeu avec l’improvisation (la scène de l’écoute du vinyle dans Le Péché) à la maîtrise, du noir et blanc à la couleur (les images impressionnistes d’Elvira Madigan), de la chronique naturaliste au road movie.
Une présence suédoise plus proche du réalisme et des préoccupations sociales que celle d’Ingmar Bergman, un grand frère scandinave pour le cinéma de Ken Loach, et une très bonne nouvelle pour les cinéphiles et pour les néophytes.