Né et grandi à Forbach, le documentariste Régis Sauder en est parti dès qu’il a pu. Revenir y filmer la montée du FN, la déshérence et son enfance perdue tient du journal intime et du constat universel.
Forbach, ville fleurie (deux fleurs). Un clocher, un terril, des magasins fermés (« local à céder »), des rues désertes, des tracts nationalistes collés sur les poteaux. Tout est dit en quelques plans de cette ville minière sinistrée de la Moselle, proche de la frontière avec l’Allemagne. Forbach, d’où Régis Sauder est parti dès qu’il a pu, il y a trente ans, honte de son milieu, marre de la violence ; Forbach, où le réalisateur de Nous, princesses de Clèves et Être là revient, pour filmer, en 2014, 2015 et 2016. Pour comprendre pourquoi la tentation de voter FN est de plus en plus partagée, pour parler à ceux de ses amis d’enfance qui sont restés, pour constater le chômage (« On est passés d’une mono-industrie à rien »), la disparition du tissu social (« Avant, on n’avait rien, mais on était très heureux »), le racisme (moins de boulot, plus d’immigrés = équation simpliste), l’abandon des pouvoirs publics (on entend François Hollande lors de son discours promettant aux Forbachois une vie meilleure, en 2012)… Et puis la résistance qui s’opère, malgré tout : à l’école, au cours d’alphabétisation.
Il y a deux Régis dans Retour à Forbach. Celui dont on entend la voix derrière la caméra – « J’ai quitté Forbach, mais Forbach ne m’a jamais quitté » –, qui interroge son père, ses amis, la patronne du café. Celui qui redécouvre les lieux, les barres d’immeubles repeintes en bleu avec des nuages blancs, mais où personne ne se parle, le terrain de jeux où des gamins scandent des raps assassins… Et il y a l’enfant dont le souvenir reste, figé, souriant, sur une photographie aux côtés de sa sœur, prise par son père et encadrée dans le salon du pavillon familial. Cet enfant qui aimait rêver et lire, qui avait peur du ballon de foot et qui s’est, un jour, fait tabasser salement dans le vestiaire de son collège. Parler de soi pour aller à l’universel, revenir au milieu d’origine pour mieux raconter le monde. En filmant parfois du vide : des fenêtres, des feuilles mortes, une benne à ordures remplie des objets d’une vie, en y accolant les voix qui disent le Forbach d’hier et celui d’aujourd’hui (beau montage image, signé Florent Mangeot, et son, signé Matthieu Z’graggen), en rendant visible l’invisible et audible l’inaudible. Sur une musique d’un groupe local de hard Metal, Deficiency, le film se déploie et nous emporte, comme si nous étions des enfants du cru. Fin 2016, Forbach a désormais trois fleurs, une librairie a réouvert, et la directrice de l’école primaire, l’amie de Régis qui n’a jamais quitté la ville, accueille ses élèves à la grille. Les derniers mots évoquent les élections présidentielles à venir et l’espoir que, peut-être, les tendances annoncées s’inversent. Retour à Forbach est personnel et essentiel, indéfinissable et beau. Il redonne son sens au mot citoyen.