À la redécouverte de Jerzy Skolimowski
Retour en quatre films (deux œuvres de jeunesse et deux pépites des années 1980) sur l’œuvre multiple et cohérente de Jerzy Skolimowski.
Quelques mois après la reprise du très beau Départ, et alors que la Cinémathèque française lui consacre une rétrospective du 14 mars au 8 avril, la redécouverte du cinéma de Jerzy Skolimowski se poursuit en quatre films et deux vagues : le 20 mars sortent Signes particuliers – néant (jusqu’alors inédit en salles en France) et Travail au noir, tandis que Walkover et Le Bateau-phare reviendront au cinéma le 10 avril prochain.
Cette replongée montre à quel point le cinéma du réalisateur de Deep End a pu être aussi divers que cohérent. Tournés pour des budgets très modestes, Signes particuliers – néant et Walkover portent en eux le style des futurs films du cinéaste. Cadrages dynamiques et mouvements d’appareil sophistiqués sont au service d’une vision sans fard de la société polonaise des années 1960, sous le giron du pouvoir soviétique. On y suit, sur un temps assez court, les pérégrinations d’Andrzej (incarné par Skolimowski par souci d’économie), tour à tour ex-étudiant, futur soldat et enfin boxeur. Portés par l’énergie de leur auteur-acteur, ces deux films foncent à l’essentiel comme le font les deux autres, tournés dans les années 1980.
Le Bateau-phare, adapté d’un roman de Siegfried Lenz (déjà porté à l’écran en 1962 par Ladislao Vajda sous le titre Les Tueurs du R.S.R.2), est un modèle de huis clos. Le capitaine Miller, qui vient de récupérer la garde de son turbulent jeune fils, est obligé d’accueillir sur son bateau-phare trois passagers douteux, menés par le volubile Calvin Caspary. Dans le rôle de l’officier, Klaus-Maria Brandauer livre une composition tout en retenue, qui tranche singulièrement avec celle de Robert Duvall, campant avec un plaisir évident un histrionique et impitoyable gangster. Rusé, Skolimowski cache tout d’abord son film sous les atours d’une série B nerveuse caractéristique de son époque (la BO de Stanley Myers et Hans Zimmer est typiquement eighties) pour transformer son thriller en un affrontement psychologique et philosophique entre deux hommes fondamentalement différents.
On termine par le plus bel objet de ce cycle, Travail au noir, tourné dans l’urgence par le cinéaste polonais pour rendre compte du mouvement Solidarność et de sa répression par le pouvoir au début des années 1980. Il adopte pour ce faire la position de Nowak (Jeremy Irons, roué et mélancolique, dans un de ses plus grands rôles), un contremaître polonais envoyé à Londres avec trois compatriotes pour travailler sur le chantier d’un appartement. Bilingue, Nowak, est le seul à comprendre la situation qui frappe leur pays et la cache à ses ouvriers pour qu’ils terminent leur travail dans les temps. Skolimowski use là aussi du huis clos, mais sous la forme d’une comédie noire traversée de micro-scènes burlesques (les mésaventures sur le chantier) et de moments angoissants (les manœuvres de Nowak dans un supermarché pour nourrir son équipe, alors que leur budget se tarit), sans que jamais les ruptures de ton ne nuisent à la belle cohérence de l’ensemble. Le cinéaste, qui sait constamment aller à l’essentiel sans jamais sacrifier l’élégance de sa mise en scène, tourne une œuvre qui fonctionne aussi bien comme une fable que comme un brûlot politique. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette pépite qu’il faut impérativement redécouvrir.