Après Elle l’adore, qui explorait les relations aliénantes entre une fan et son idole au sein d’un scénario rocambolesque, Jeanne Herry pose son regard sur un sujet passionnant et peu exploré au cinéma. Pupille, film solaire, bouleversant de justesse, explore l’abandon d’un nourrisson et les premiers mois de sa mise à l’adoption.
C’est la première séquence du film. Alice, jeune femme de 41 ans qui bataille depuis dix ans pour pouvoir adopter un enfant, se voit annoncer que Théo, 3 mois, va devenir son fils. Alice à l’écran, c’est Élodie Bouchez. Et dans cette scène, comme dans toutes les autres, elle est bouleversante. Son visage, tour à tour de face et de profil, emplit l’écran et fait passer une émotion rare. Son expression de sidération absolue, son écoute incrédule, son regard éberlué, irradient d’une justesse telle qu’on se demande pourquoi le cinéma ne lui a pas proposé davantage de rôles marquants depuis Les Roseaux sauvages ou La Vie rêvée des anges.
C’est aussi que Jeanne Herry est dotée d’un sens de la direction d’acteur remarquable. Dans Elle l’adore, on se souvient de Sandrine Kiberlain atteignant des sommets de comédie, notamment dans une hilarante séquence d’interrogatoire. Dans Pupille, film plus choral et ample, l’ensemble du casting sonne vrai. Sandrine Kiberlain émeut en amoureuse secrète ; Olivia Côte, avec sa présence ferme et sereine épate à chaque apparition ; Gilles Lellouche joue avec tendresse un père provisoire attachant ; Clotilde Mollet fait une formidable assistante sociale à la voix singulière ; Miou-Miou apporte une grande douceur à l’ensemble, tout comme la gracieuse Stéfi Celma, qu’il est réjouissant de voir au cinéma après la série Dix pour cent. Chacun fait vibrer les cordes sensibles de ce scénario, écrit par Jeanne Herry, qui donne à comprendre les rouages de la mise à l’adoption.
La structure de son récit est judicieuse : la narration remonte le temps et dessine chaque étape-clé en faisant entrer en scène, un à un, tous les professionnels impliqués dans le processus de la prise en charge du petit pupille du titre. Car entre la mère qui abandonne son enfant et celle à laquelle il sera finalement confié, il y a un monde : des lois, des règles et des personnes qui endossent l’immense responsabilité de choisir les parents adoptifs. Et tout autour, de l’espoir, des doutes, de la douleur et une envie d’aimer.
Jeanne Herry, très documentée, tisse sa fiction autour de personnages bien dessinés et d’une idée forte : celle de la réceptivité des bébés au langage, aux mots et à la voix – idée que Françoise Dolto comme sa fille, Catherine, qui fit connaître l’haptonomie, défendaient ardemment. Elle fait de cette certitude – la sécurité affective de l’enfant, nécessaire à son bon développement, naît en grande partie du fait qu’on lui parle et lui dit vrai – son axe narratif autour duquel pivotent tension et émotions dans un récit sur le fil entre drame et comédie. Son film, instructif et captivant, dégage une lumière qui stimule la conscience de celui qui le reçoit et touche au cœur.