La Première Marche

Première marche ou crève

La banlieue s’affiche avec fierté. Plus qu’un documentaire, un regard sur la Gen Z.

Youssef, Yanis, Annabelle et Luca ont 20 ans. Tous les quatre sont étudiants à Sciences Po et, fatigués de l’image de la banlieue, ont décidé d’organiser la première marche des fiertés de l’autre côté du périphérique. Une Gay Pride 2019 en Seine-Saint-Denis, donc, quelques semaines avant la Pride parisienne.

Les réalisateurs Baptiste Etchegaray, qu’on a pu entendre sur France Inter, et Hakim Atoui, par ailleurs producteur – on lui doit notamment le court-métrage Scred en 2017, déjà sur la question de l’homosexualité en banlieue – ont rencontré ces jeunes au hasard d’une conférence. Inspirée par leur enthousiasme et leur vivacité, l’idée de les suivre est née le jour-même. Si tous deux ont pressenti un sujet, de la première réunion officielle à l’événement en lui-même, La Première Marche est plus le portrait de ces quatre jeunes, et de Youssef en particulier, qu’un documentaire sur leur action à proprement parler. On comprend la dérive : le jeune Marocain crève l’écran et incarne l’attitude millenial qui caractérise toute sa génération. Sa queerness assumée et jubilatoire, conjuguée à une conscience politique nourrie, réveille ce qui aurait pu n’être qu’un épisode de télé-réalité de plus. L’affection évidente que les réalisateurs lui portent offre l’espace nécessaire à son humour insolent et à sa capacité de réflexion poussée, tout en mettant en exergue la délicatesse et la finesse de ses acolytes.

La Première Marche n’a pas pour vocation d’éduquer, même si, au passage, il va de soi que les échanges permettent de déconstruire certaines idées et de pointer du doigt les stigmates des homosexuels banlieusards. Homonationalisme, intersectionnalité, postcolonialisme, non-binarité… Les termes fusent. Les néophytes en matière de lutte LGBTQIA+ risquent de se sentir perdu.es sur cette carte du nouveau Tendre dressée de l’autre côté du périph. La nouvelle génération est curieuse, ouverte, éduquée, spontanée, en quête de liberté et refusant les injonctions du vieux monde.

Au fil des semaines, des mois, les entretiens se succèdent, avec les réalisateurs, avec des journalistes aussi. Les petites victoires se célèbrent, comme ce drapeau LGBTQI+ hissé par la Mairie de Saint-Denis, en signe de soutien. Révolutionnaire, la Génération Z ? Ça fume des clopes (roulées) et ça boit du blanc… L’ensemble donne une impression de fouillis bon enfant, enthousiaste, naïf… Rien de nouveau sous le soleil qui éclaire le fossé entre les générations. Et puis soudain. Soudain, une tout autre dimension nous apparaît, le jour J : les différentes associations réunies sous un même drapeau, les banderoles, les affiches et les slogans, les prises de parole… Soudain, c’est une histoire bien plus limpide qui s’offre à nous, celle d’une partie de la jeunesse banlieusarde, qui emmerde toujours le Rassemblement National, clairement. Cette jeunesse est avant tout Z, oui, et – aussi – LGBTQIA+. Le +, pour celles et ceux qui l’ignoreraient, c’est pour les Alliés, pour les Amis, parce qu’à +, on est plus forts.

La Gen Z est avant tout inclusive dans sa démarche, et si elle est fière de gravir cette première marche, elle est peut-être et surtout la promesse d’un avenir où la différence a sa place.