Pour le réconfort

Retour à Orléans

Pascal et Pauline reviennent après de nombreuses années dans la campagne orléanaise où ils ont grandi. Il faut vendre le grand domaine familial dont ils ont hérité. Sur place, ils retrouvent des amis d’enfance, qui ont chacun des projets particuliers pour le terrain…

Le casting ressemble à un concours de mauvais sosies de Vincent Macaigne. Les personnages masculins sont tous mal coiffés et mal rasés, comme autant de représentations presque allégoriques du « trentenaire », qu’il soit rural ou urbain, riche ou pauvre, dans l’imagerie macaignenne. Premier passage à la réalisation cinématographique de l’acteur-metteur en scène Vincent Macaigne, Pour le réconfort semblait recouvert d’une fine pellicule d’appréhension. Il paraîtrait que c’est le genre de film dont on sort de la salle pendant la projection. Les habitués de ses spectacles le savent : chez Macaigne, on s’engueule, et on s’engueule vraiment.

Pour le réconfort ressemble à une version radicale de Ce qui nous lie, le dernier film de Cédric Klapisch dont l’action se déroulait chez de jeunes vignerons bourguignons. On y retrouve le même retour à la terre natale d’expatriés. Les mêmes retrouvailles amères avec ceux qui ne l’ont pas quittée. Le même passé en héritage. Avec son histoire de vieilles amitiés sous tension, Macaigne est un Klapisch brutal, sans vernis de sympathie. Ces amis-là se détestent et se méprisent profondément. Mais pour chacun, leur haine des uns et des autres, aussi énervante soit-elle, est compréhensible. Car le réalisateur, lui, ne méprise pas ces personnages, mais nous les donne à voir tels qu’ils sont, avec leur maladresses, leurs contradictions, leur difficultés, et surtout leurs profondes convictions.

Laboratoire des relations humaines


Il y a Emmanuel, néoréactionnaire, révolutionnaire de droite, le genre à voter UPR. Il déteste les néoruraux, la bourgeoisie bohème qui ne connaît rien et croit que le monde est à elle. Il a monté un petit business dans les maisons de retraite. Il aime son travail, et croit à son importance. Il souhaite acquérir le terrain de Pascal et Pauline pour agrandir.
Il y a Joséphine. Pascal et Pauline lui ont confié le domaine, pour qu’elle y fasse pousser des plantes. Elle aime la nature et les animaux, mais dans le fond, tout ce qu’elle voudrait, c’est partir, aller à la ville. Et surtout quitter son mec idiot, Laurent, seul individu vaguement présentable qui restait disponible dans cette prison laide à ciel ouvert qu’on appelle « campagne ».

Et puis Laurent, qui aime terriblement Joséphine, et qui n’aspire qu’à une vie simple et calme. Mais voilà que Pascal et Pauline débarquent et viennent tout gâcher. Pascal et Pauline, de retour respectivement du Mexique et de New York, veulent bien être sympathiques. Pourquoi pas boire un coup, manger ensemble et se raconter des vieux souvenirs. Mais pas trop longtemps. En fin de compte, tout ce qu’ils veulent, c’est vendre, partir de cet endroit étranger où toute attache sentimentale a disparu avec la mort de leurs parents.
Un petit panel de personnages donnant une représentation juste et précise de la campagne française dans les années 2010, bien loin du romantisme bucolique de certaines fictions en milieu rural. Dans ce cadre, Pour le réconfort est une sorte d’analyse microscopique des relations humaines. Dans cette précision des rapports, on pense à Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais. Ces personnages sont comme des sujets d’étude.

Tout est à vif, au point d’en devenir presque inconfortable pour le spectateur. Et notamment lorsque les tensions éclatent. Les premières larmes apparaissent, et l’on s’entend crier de plus en plus fort, comme pour se défendre d’une attaque insoutenable. Effectivement, ces séquences d’engueulades sont désagréables car, subitement, on n’a plus l’impression d’être au cinéma. Nous aussi, spectateurs, sommes à fleur de peau. On a l’impression d’être caché dans le coin de la pièce, comme l’enfant de Faute d’amour, à entendre des proches se crier dessus. Des séquences d’une rare puissance grâce au talent des acteurs, mais aussi, et en cela Macaigne devient un vrai cinéaste, grâce à l’écriture cinématographique de ces scènes. Des plans rapprochés, souvent de face, détaillent les visages marqués des personnages tristes ou en colère. La peau se plie, se tire. Les joues deviennent rouges. Les yeux, le nez s’humidifient. Triste ou en colère, on n’est pas beaux à voir, et pourtant on voudrait se prendre dans les bras, se réconforter. Filmés parfois sans champ-contrechamp, et souvent en plans-séquences, sans cut, ces scènes sont fortes, belles et difficiles par leur durée. Comme dans une engueulade dans la vie, et pourtant comme rarement au cinéma, ça dure trop longtemps. On devrait passer à autre chose bien plus vite, on sait bien qu’après, on le regrettera, mais sur le coup, la colère ne s’arrête pas. Et puis, quand il n’y a plus rien à faire, quand en face, il n’y a plus d’opposition, mais juste de l’indifférence, alors les larmes n’en finissent pas de couler. Bien sûr, dans ces scènes, en tant que spectateur, on aimerait être ailleurs. Et sortant de la salle, on cherchera nous aussi le réconfort. Mais on sera bien content, tout de même, d’être resté jusqu’au bout, avec les personnages. De ne pas les avoir abandonnés.