Kleber Mendonça Filho est de retour avec un documentaire. Un pont tendu entre hier, aujourd’hui et demain, pour raconter avec acuité sa passion du cinéma, mais aussi la disparition, et la résistance par la création. Enthousiasmant.
Chacun, chacune, a dans son for intérieur l’histoire de sa découverte du cinéma sur grand écran. Des lieux, des salles. Des moments, une époque. Des visages, des longs-métrages. Pour le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho, tout est lié à sa ville natale, Recife, qu’il raconte inlassablement. La capitale de l’État du Pernambouc, dans la région du Nordeste, au nord-est du pays, reste le centre névralgique de la plupart de ses œuvres. On y sent battre le pouls de cette cité étalée en bord d’océan Atlantique. Elle fit déjà les beaux jours de ses courts-métrages (Eletrodoméstica, ou le bien nommé Recife frio) et de ses deux premiers longs de fiction, Les Bruits de Recife et Aquarius. Il en fait ici sa protagoniste, et il lui offre une déclaration d’amour. Cette municipalité d’un peu plus d’un million et demi d’habitants symbolise toute la vie de l’auteur, mais pas que. Elle raconte aussi, depuis plusieurs décennies, l’évolution des salles de cinéma, celle du pays et celle du monde.
Avec Portraits fantômes, le réalisateur de Bacurau signe un long-métrage à la facture apparemment simple, mais à la richesse enthousiasmante. Kleber Mendonça Filho est non seulement une figure phare du Brésil et du 7e art actuel, mais aussi un grand cinéphile. La passion de son art l’a fait passer par l’écriture critique, par la programmation, et par la défense du regard des autres, avant de s’atteler à la réalisation. Un itinéraire fécond. Son premier opus long reste méconnu. C’était, déjà, un documentaire, sobrement titré Crítico (2008). Un échange avec des critiques et avec des cinéastes, qui mettait justement un terme à son activité critique. Portraits fantômes lui répond en écho, quinze ans plus tard. Les salles de cinéma du centre-ville sont devenues des temples en tous genres. Toujours dédiés à cet art magique, ou transmutés en espaces de culte, gangrenés par le mouvement évangélique. Mais avec un point commun, la réunion des êtres autour d’une croyance, d’une attente, d’un espoir de lumière. Un cinéma d’origine persiste, le majestueux São Luiz, sur les bords du fleuve Capibaribe, tel un vestige d’antan.
Le film embarque par son tissage d’images et de sons, et par la science savante du maillage des matériaux. Documents d’archives, clichés et vidéos personnelles, extraits d’œuvres du cinéaste. Évolution de l’appartement familial, extensions et démolitions. Fixes ou en mouvement, les visions nourrissent le récit fluide et englobant. La voix sereine de Kleber Mendonça Filho accompagne le fil narratif. Entre confession et témoignage, elle raconte une vie d’observation et d’implication. D’action et de création, héritées de sa mère. De construction aussi, en dur, avec son frère architecte Múcio, et en doux, avec lui, le cinéaste Kleber. Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes en mai dernier, Portraits fantômes vient éclairer l’automne meurtri, grâce à sa résistance douce mais nécessaire, par la transmission de la mémoire. Par l’espoir résilient d’un homme, qui ouvre avec générosité la malle de son art, et croit au lien immarcescible.