Hasard de calendrier, deux films sur la détresse adolescente face à la discrimination sexuelle sortent à une semaine d’intervalle sur les écrans français. Plus jamais seul du Chilien Alex Anwandter (distingué du Teddy Bear à la Berlinale 2017) et One Kiss de l’Italien Ivan Cotroneo permettent, en dépit des écarts géographiques, un seul et même constat : la vie en rose n’est toujours pas d’actualité.
Exit les mines contrites des héros des Lunettes d’or (1987, Montaldo) ou du Secret de Brokeback Mountain (2005, A. Lee), le gay d’aujourd’hui est un sémillant ado libéré, toqué de narcissisme aigu, ventouse décomplexée devant la glace (ou sa meilleure copine) et doté d’une langue agile qui n’est pas seule à être bien pendue. En ce sens, élus de castings pointus, l’ingénu Andrew Bargstead de Plus jamais seul et l’éclatant Rimau Grillo Ritzberger de One Kiss, incarnent des natures volontaires et candides aux grands yeux de faon, bercés par l’illusion que la vie est cadencée au rythme de leurs beautés apprivoisées et de leurs sensualités débordantes. Pour ainsi dire, ces enfants si doux et si différents, rejetons de la modernité, de la liberté et d’Internet, ne veulent ni se cacher ni s’adapter au monde, mais bien l’inverse. Ivres de fantasmes puérils, ils ignorent que les autres, tapis dans l’enfer sartrien, n’ont pas bougé d’un iota et qu’ils libéreront, le moment venu, une violence sourde et démesurée à leur encontre. De fait, cinéphile révolutionnaire, passe ton chemin : le constat désespéré des deux films répond comme l’écho au cynisme du Prince Salina qui, plus d’un demi-siècle en arrière, déplorait dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Dur, dur…
Dès lors, rien de neuf pour la cause ? En premier lieu, Plus jamais seul, premier film d’Alex Anwandter, musicien électro et star au Chili, met toute son âme dans le récit réel de l’assassinat de l’un de ses fans, un meurtre homophobe si vif que le Chili promulgua une loi au nom de sa victime, la loi Zamudio. La mise en scène enflammée de l’artiste chilien prend corps dans un jeu subtil de contre-pieds. Lorsque l’agression, filmée avec maîtrise et intégrité, nous prive de son héros, un portrait en creux de ce dernier naît alors au travers du regard de son père (Sergio Hernandez, bouleversant). Nimbé des déchirements atmosphériques proches de Low de David Bowie, le spectateur en ressort le cœur battant et révolté.
Plus classique et sous une légèreté jamais dupe, One Kiss d’Ivan Cotroneo prend le parti d’accompagner trois protagonistes (une fille et deux garçons) enjoués dans la découverte de leurs amitiés amoureuses sans frontières. Le charme jaillissant de Lorenzo, véritable trouvaille de casting, est utilisé judicieusement pour décrire la schizophrénie espiègle de son genre, grâce à quelques artifices et effets souvent drôles et perspicaces. Si le film n’évite pas les stéréotypes (les vilains camarades et la professeure), on sait gré au réalisateur de miser sur la ténuité du fameux baiser qui donne son titre au film, pour un plaidoyer pédagogique, un brin illustratif, mais toujours ludique, sain et nécessaire.
Au final, si rien ne semble bousculer l’horlogerie mondiale sur le sujet, la rose des vents garde solidement le cap de convictions intimes et justes dénonciations.