Playlist

Haute fidélité

À 28 ans, Sophie cherche le job de ses rêves et l’amour parfait. Mais la réalité ne fait pas de cadeau, ni de pont d’or. Chronique aigre-douce plus audacieuse qu’elle n’en a l’air, Playlist est un premier film inventif, rafraîchissant, libre et d’une rare justesse. Quelque part entre le standard de rock indé et le tube de l’été. 

Premier film, Playlist n’est pas pour autant un coup d’essai. Sa réalisatrice, Nine Antico, est une illustratrice et auteure de bande dessinée reconnue, en activité depuis une quinzaine d’années, et cet « esprit BD » se retrouve parfaitement dans Playlist. Sans être un film à sketchs, Playlist propose une série de situations tragi-comiques, comme autant de planches au sein d’une histoire linéaire : celle de Sophie (Sara Forestier), de ses joies et de ses peines, de ses emmerdes surtout, amoureuses et professionnelles. Un coming-of-age film tout ce qu’il y a de plus classique sur le papier, évoquant autant La Femme de mon frère de Monia Chokri que Jeune Femme de Léonor Serraille avec Laetitia Dosch (qui joue d’ailleurs ici un savoureux rôle secondaire de meilleure amie se rêvant comédienne). Le pitch « classique » d’un premier film, mais on n’aurait pas voulu que Nine Antico nous raconte autre chose : car dans ces petites misères de la vie quotidienne, ces rêves un peu flous heurtés par une réalité parfois trop nette, ces espoirs souvent déçus (mais pas toujours), ces petites choses qui font l’essentiel d’une vie, la réalisatrice touche une vérité rare dans laquelle chacun peut se reconnaître, tout en cherchant davantage la sincérité que l’universalisme. Il est évident que le personnage de Sophie, qui se rêve dessinatrice, a des points communs avec l’auteure, et, à l’instar de ses BD, qui sont surtout des chroniques de la vie quotidienne, il y a du vécu dans ces situations.

Playlist de Nine Antico. Copyright Atelier de production.

Une musique dans la tête

Comme beaucoup de premiers films, Playlist nous offre une petite collection d’effets de style et de mise en scène. Mais, alors qu’ils pourraient être pompeux ou appuyés, ils sont toujours bienvenus : la musique omniprésente (le film porte bien son titre), les ralentis et même le noir et blanc, tout fonctionne. Rien ne sonne faux, car tout est fait avec honnêteté et sans frime. Nine Antico se fait plaisir dans sa mise en scène et elle a raison. À quoi bon faire du cinéma, sinon ? Mais elle le fait sans rien imposer au spectateur, sans jamais lui dire « voilà ce qui est beau, voilà l’émotion ». Et pourtant, l’émotion est là : on est touché par cette héroïne un peu paumée, on sourit beaucoup aussi, en grande partie grâce à l’éventail de personnages secondaires brillamment croqués et interprétés : Andranic Manet en vendeur de matelas ténébreux, Grégoire Colin en boss gênant ou même le chanteur Lescop en auteur de romans graphiques torturé. Une galerie de mecs comme autant de relations sentimentales potentielles pour Sophie, dont l’interrogation est signifiée par le même gimmick récurrent : gros plan sur le visage du garçon dont le nom s’inscrit en bas de l’écran, ralenti, le tout sur un extrait de True Love Will Find You in the End, tube confidentiel de Daniel Johnston, chéri des amateurs de pop indé underground.

Playlist de Nine Antico. Copyright Atelier de production.

L’amour et la violence

Lectrice de Haute Fidélité de Nick Hornby, Nine Antico s’y connaît en musique, et comme dans l’adaptation éponyme du roman britannique par Stephen FrearsPlaylist donne envie de noter l’ensemble des morceaux entendus pendant les quatre-vingt-dix minutes du film. Une playlist délicieuse agrémentée d’une voix off – celle du rockeur mélancolique Bertrand Belin – proposant des réflexions philosophiques sur l’amour un brin lunaires, mais si planantes à écouter. Malgré ses pensées ésotériques, le film de Nine Antico ne donne pas de grande morale ou de grande leçon. Mais il respire la vie, autant qu’un morceau de Nana Mouskouri ou un album d’Electrelane : avec douceur et liberté, avec force et amour.