Nos avis divergent sur le nouveau film de Kornél Mundruczó : voici notre poly-critique !
Briser les chaînes et renaître
Le Hongrois Kornél Mundruczó était un habitué de Cannes, de la Cinéfondation à la compétition (Delta, prix Fipresci en 2008) en passant par Un Certain Regard (White God en 2014, le Grand Prix), avant de débarquer sur Netflix. Malgré certains films décevants (Frankenstein Project, La Lune de Jupiter), une dimension spectaculaire trop démonstrative, le cinéaste, pour son premier film en anglais, renoue avec une portée métaphysique du réel, renonçant à la veine fantastique, où il pouvait s’égarer. Aussi, pour la plate-forme américaine, il signe finalement son film le plus personnel et le plus radical. En effet, lui et sa compagne Kata Wéber (la scénariste du film) auraient eu l’expérience douloureuse de la perte d’un bébé. Ce drame serait le point de départ de ce récit, porté magistralement par Vanessa Kirby (Coupe Volpi de la meilleure actrice à Venise), et relaté sur trente minutes, quasi en temps réel. Ce moment éprouvant permet à l’actrice de révéler l’étendue de ses talents, incarnant la fatigue, la douleur, comme la tendresse et la légèreté. Il marque aussi le déclenchement d’un cheminement émouvant. Cette femme, Martha, devient une âme errante qui tente d’échapper aux pressions dont elle fait l’objet, qu’elles soient assénées par son mari (Shia LaBeouf) qui la paralyse, ou sa mère dominatrice, qui considère l’échec de la naissance comme un déshonneur pour sa fille. Elle fuit ce qui l’oppresse. Le film capte son mouvement perpétuel, qui devient sa vitalité et sa survie. Sous la forme d’un mélo implacable, sensible et politique, Mundruczó dresse le portrait d’une femme qui retrouve sa liberté, et dont la plus belle victoire est de refuser le ressentiment et la désignation d’un coupable lors d’une scène finale poignante.
Benoit Basirico
Film d’auteur express
On l’avait quitté figure de proue d’un nouveau cinéma hongrois, réalisateur de films audacieux, aux frontières du social et du fantastique (White God et La Lune de Jupiter). Alors, forcément, on l’attendait, ce premier film en Amérique. Mais où se cache Kornél Mundruczó derrière cet ersatz de cinéma « d’auteur » ? Ici, tout semble relever de la performance, comme s’il fallait à tout moment flatter l’ego du spectateur en lui signifiant bien qu’il est en train de regarder une œuvre profonde et subtile, en bref : du « grand cinéma ». Comme l’amateur de films d’action devrait se satisfaire des cascades monumentales du Six Underground de Michael Bay, le cinéphile abonné à Netflix en aurait pour son argent avec Pieces of a Woman, des plans-séquences éprouvants aux clins d’œil à Bergman. Résultat, ce qui devrait faire le sel du film, l’émotion, est absent. Ce n’est pas faute d’être « réaliste », ce serait même « du vécu », mais rien ne nous effleure dans cette histoire pourtant forte, prisonnière d’une mise en scène bien grossière.
Pierre Charpilloz
Perte et fracas
C’est l’histoire d’une femme qui perd son enfant juste après l’avoir mis au monde. L’accouchement, à domicile, est filmé en plans-séquences (avec raccords invisibles), des premières contractions à l’arrivée de la sage-femme, de la naissance aux premiers signes de difficultés respiratoires du nouveau-né. Cette durée (près de trente minutes), que le spectateur endure avec la parturiente et son compagnon, est là pour nous plonger dans l’horreur de cette perte. Et dans le fracas qui s’ensuit, pour toute la famille, et pour Martha, endeuillée, mais qui ne veut pas porter le deuil, qui retourne au bureau, soulage ses montées de lait en appliquant des sacs de petits pois surgelés sur ses seins, se prend de passion pour les pommes, ne supporte plus son mari et tente de trouver une responsable à son malheur.
Il y a une vérité indéniable dans l’écriture de Kata Wéber, qui nourrit ce portrait de femme en morceaux aux sources d’un vécu palpable. Et Vanessa Kirby (la princesse Margaret dans The Crown, saisons 1 et 2) lui confère une force fragile retraçant les montagnes russes traversées. Son prix d’interprétation à la Mostra de Venise 2020 est une récompense méritée. Mais la mise en scène du Hongrois Kornél Mundruczó, tout en tours de force et effets appuyés, épuise le spectateur. La violence vécue de l’intérieur eût amplement suffi sans ce looping permanent de la caméra.
Isabelle Danel