Révélé à Cannes à la Semaine de la Critique, Piccolo corpo est le premier long-métrage bouleversant de Laura Samani. Un voyage géographique autant que métaphysique aux images saisissantes.
Piccolo corpo. Petit corps. Celui du bébé qui traverse tout le film, et cristallise son âme. Celui que transporte sans relâche, et à même son dos, après l’avoir porté dans son ventre, une jeune mère. C’est un magnifique premier film que celui de Laura Samani. Une fable puissante sur la détermination et sur la croyance. Une ode au féminin. Le voyage vers un sanctuaire du miracle, dans les Alpes des temps anciens, était dans la réalité effectué par des hommes. La cinéaste a choisi de filmer des femmes. En ressort une création fascinante. La rencontre en forêt de deux solitudes bannies, Agata et Lynx, incarnées avec intensité par Céleste Cescutti et Ondina Quadri. L’alliance de ces deux caractères, et des éléments – le ciel et l’eau – que les prénoms des actrices symbolisent – il n’y a pas de hasard -, va guider le périple de leurs personnages vers le lieu espéré, en un road-movie du sud au nord de l’Italie.
Cette histoire passionnante conte, en 1901, le choix engagé d’une maman pour déjouer l’errance symbolique de sa fille éteinte, en la faisant baptiser pour lui assurer le salut et la sépulture catholiques, si un unique et magique souffle de vie a lieu. Sa décision vire à l’obsession, et constitue le nerf de la guerre de cette avancée lente mais ininterrompue, jusqu’à son terme. Le récit est court, serré, précis. La cinéaste, qui a déjà traité du miracle et de la religion dans son court-métrage La santa che dorme (La sainte endormie), traite son sujet avec une maîtrise confondante. Le scénario coécrit avec Elisa Dondi et Marco Borromei tient sa ligne directrice, avec un mélange subtil de rudesse et de luminosité. Les images de Mitja Licen enveloppent le regard, dès l’introduction en bord de mer et les intérieurs éclairés à la lampe à huile, avant de saisir par leur majestuosité au pied des monts enneigés.
La quête d’affirmation est aussi un chant de liberté. Celui de l’héroïne et de son acolyte au regard hypnotisant. Des êtres unis face au patriarcat et aux dogmes, juste avant l’influence progressive de la psychanalyse. Celui d’une cinéaste qui s’autorise à revisiter le passé pour mieux résonner avec le monde contemporain, et qui utilise les ressorts du conte pour mieux transcender les maux de la réalité. Elle affirme aussi une identité forte, en célébrant les dialectes frioulan et vénète, autrefois écrasés par le pouvoir fasciste. La richesse du propos et de la forme s’accompagne d’une fluidité dans l’exécution, tout comme les flots dominent, de la plage inaugurale au lac final. Cette quête unique d’un nom pour qu’une créature trouve sa place révèle celui d’une auteure à retenir : Laura Samani.
Olivier Pélisson