Axelle Ropert capte avec délicatesse les remous intérieurs d’une jeune adolescente qui apprend que ses parents divorcent. À travers son seul regard, un monde bascule.
Axelle Ropert (La Prunelle de mes yeux, Tirez la langue, Mademoiselle, Prix Jean Vigo 2021 avec ce film) a le talent de faire naître de grandes émotions à partir d’un dispositif minimal. Il s’agit ici d’éprouver petit à petit la tristesse d’une jeune fille de 13 ans, Solange (Jade Springer), quand le divorce de ses parents se précise. Tandis que le père (Philippe Katerine) et la mère (Léa Drucker) se déchirent et s’éloignent, l’adolescente observe des repères qu’elle a toujours connus s’estomper. Ses certitudes vacillent ; c’est la fin d’un idéal, celui où l’amour dure toujours. Cette prise de conscience que les choses ne sont pas éternelles ou exclusives est pour elle un changement de cap, une première entrée dans l’âge adulte.
Sans éclats, avec peu de dialogues, un sentiment mélancolique, continu et diffus, se dessine à travers le regard inquiet de Solange. La réalisatrice évoque son intention de flirter avec le “mélo”. Par son geste, sans fausse pudeur, elle ose se confronter à la pureté de ces émotions subjectives. Une même note se perpétue et continue de nous traverser longtemps après la projection. Les parents demeurent à la périphérie de l’histoire, en amorce ou en arrière-plan, vus à travers des miroirs ou des seuils de portes. La mise en scène fait exister le point de vue de la jeune fille, et soutient une solitude naissante. Les parents ignorent la détresse de leur fille. Personne n’est là pour la consoler. Même son frère préfère fuir en Espagne. De cette enfance égarée naît une dureté, voire une cruauté, que la forme épurée vient encourager.
Ce récit construit en creux, avec des ellipses, des silences, sans colère exprimée, fonctionne comme une énigme à déchiffrer. Chaque élément dans le cadre est un indice à la compréhension de ce qui se joue. Il est ainsi d’autant plus poignant de comprendre en même temps que la petite Solange la situation de ses parents. Le film se concentre alors sur des enjeux émotionnels universels. Il tisse un fil de plus en plus sombre. Il s’ouvre de manière anecdotique, presque dans le registre de la comédie (une réunion de famille dans un jardin) pour progressivement évoluer vers un drame personnel. L’époque demeure atemporelle (les décors vintage des années 1980 côtoient les téléphones portables des années 2000). En évacuant le cadre social et sociétal, nous pouvons nous projeter dans l’histoire, qu’un regard caméra final nous invite à prolonger, un regard soutenu incarné par un visage, celui de Solange, et de sa magnifique interprète Jade Springer.
Benoit Basirico