Les premiers pas en solo de Samuel Theis débouchent sur un grand film. Un récit d’apprentissage bouleversant, porté par un gamin épatant, Aliocha Reinert.
Dans la première scène du film, Johnny, dix ans, est assis à une table avec son beau-père du moment, qu’il quitte en famille pour aller s’installer dans un nouvel appartement de leur cité HLM lorraine. Le ton est donné par la force du réalisme et de l’élan romanesque. Les cadres sont posés, les échanges sont simples, et les regards entre les personnages sont denses. La dramaturgie retrouve le même terrain géographique que le cinéaste explorait dans le court-métrage Forbach (2008) et dans le premier long-métrage Party Girl (2014), tous deux coécrits avec Claire Burger et Marie Amachoukeli, et réalisés par celles-ci, en trio avec Samuel Theis pour ce dernier. Johnny est le centre névralgique de ce récit d’apprentissage, situé juste avant l’adolescence. Le garçon, cadet de trois enfants, se découvre une soif d’ailleurs et d’autre chose le jour où il rencontre son nouvel instituteur, venu de Lyon. Une fascination inédite et stimulante pour le gosse, qui comprend progressivement qu’il veut s’extraire de sa condition sociale et du déterminisme annoncé, malgré l’amour familial.
La puissance de la mise en scène irradie l’écran, via ce petit corps confronté au monde adulte, et via la manière dont le réalisateur accueille les non-professionnels que sont Aliocha Reinert (Johnny) et Mélissa Olexa (sa mère), trouvailles inouïes, face au judicieux Antoine Reinartz. Avec sa croyance profonde dans le cinéma, qui peut rendre de la chaleur à des climats plombés et de la lumière à des destins programmés, Samuel Theis réussit la gageure de partir de sa propre biographie pour plonger dans la fiction, sur le matériau délicat de la conscience du désir naissant. Rien n’est lourd ni malaisant dans ce portrait vivifiant, bien au contraire. Le pouls bat fort dans chaque seconde de l’aventure, de la captation de l’intériorité des êtres à la révolte enfantine. Huit mois après sa présentation en séance spéciale à la 60e Semaine de la Critique à Cannes, il était temps que Petite Nature pose ses pas sur les grands écrans de l’Hexagone. L’heure est enfin arrivée.