Ravir les cœurs de tout un chacun et l’emporter dans une rieuse insurrection, telle est la savoureuse invitation à danser et aimer que nous propose Paul Vecchiali avec son dernier opus. Il fait partie de ces cinéastes, si rares et si précieux, où la simplicité apparente de leur œuvre va de pair avec une élégiaque modernité.
Ici, la rime se chante et l’amour se déclame sur les musiques de Roland Vincent et les paroles de Paul Vecchiali. Dans ce film enchanteur, qui se place sous les auspices de l’amour et de la liberté face à l’intolérance si rance, nous suivons les pérégrinations d’Adolphe, fils aimant, aux côtés d’Anastasia, sa mère invalide – interprétés par la superbe Mona Heftre et Ugo Broussot, acteur renversant de fragilité comme de gravité.
Nous sommes à Ramatuelle, presqu’île de Saint-Tropez, où l’équipe municipale ne voit vraiment pas d’un bon œil l’ouverture du Mimosa, un cabaret avec comme clou du spectacle des travestis. Ce ne sont pas tant les propositions du maître des lieux qui attirent Adolphe que la perspective d’exprimer enfin tout son sens du spectacle. Vieux garçon, soutenu par sa mère ancienne cantatrice, il comprend que ce cabaret, certes racoleur, représente son espace de liberté. Il devient chaque soir Annabella au sein du Mimosa en robe lamée lorsque ce ne sont pas des plumes qui le parent.
Le film opère comme un tableau où le chatoiement des couleurs fait écho, comme les chants, à l’intériorité des personnages ; leurs sentiments comme leurs états d’âme s’y déploient. De face, les personnages racontent et se racontent, entre dialogues, monologues, parfois commencés en chantant, souvent finis en chansons. Cette frontalité théâtrale n’est pas sans rappeler le cinéma français de l’entre-deux-guerres : Sacha Guitry, certes, mais surtout Julien Duvivier pour le réalisme poétique. Avec toute la facétie qui le caractérise, c’est un Paul Vecchiali matois qui incarne le maire ; sa présence, rare, augure d’une onction quasi divinatoire. Ce qui se joue relève tout à la fois de la farce – unique manière de contrer le moralisme -, de la romance – l’amour est toujours contrarié -, mais aussi et surtout de la fable poétique et politique. Car si morale il y a, elle est du côté de l’insurrection absolue et nécessaire des aléas de l’amour. Si les hommes se désirent, comme toujours dans le cinéma de Paul Vecchiali, les femmes aussi, et qu’est-ce qui les empêcherait, comme c’est le cas pour la maquilleuse dans le film, de convoiter ardemment Adolphe/Annabella ?
Jérôme Soubeyrand interprète le patron du cabaret Le Mimosa, follement délicieux, il aime jouer les philosophes lorsqu’il affirme qu’il n’existe ni hétéros ni homos, qu’il n’y a que des « sexuels ». Le genre enferme plus qu’il ne libère, l’amour n’a que faire des appareillages génitaux. Bien plus qu’un musical chanté qui déroule sa dramaturgie, le récit filmique relève plutôt de la chrysalide. En effet, au fil des scènes, le film se révèle à lui-même, où c’est souvent dans les apartés et coulisses que le drame surgit bien plus que sur scène.
Huis clos à trois espaces – chez Adolphe et sa mère, le cabaret, et la mairie -, c’est véritablement la ronde des sentiments qui est la trame du film. Ce cinéma du boudoir n’est pas éloigné de l’univers de Lubitsch, où les désirs ne peuvent s’exprimer que dans l’affranchissement des interdits.
Les mensonges du verbe font écho aux vérités du cœur et la parade maintient tout le monde. Le monde est spectacle et la vie n’est que représentation. L’acteur Ugo Broussot s’en donne à cœur joie, offrant toute la palette de son jeu dans ces représentations d’un travesti qui ne trahit rien, au contraire.
Montrer son cul pour faire taire les imbéciles, certes, mais c’est surtout refuser de travestir la réalité pour adoucir la morale. Lorsque Adolphe ose assumer son auguste prénom par un spectacle SS, nous comprenons combien le cinéaste a conscience des passions toxiques qui semblent tellement reprendre du poil de la bête un peu partout dans le monde, y compris dans cette chère vieille France.
Toute opposition moraliste est très souvent nourrie par des rancœurs personnelles, et l’un des plus farouches opposants au cabaret a tout du jeune éphèbe, comme échappé d’un tableau de Pierre et Gilles. La beauté du film réside aussi dans ce choix du cinéaste de nous offrir des personnages tout en nuance, à l’image de son univers. Tout est circulation, seul l’amour compte.
De Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder à Miguel Bosé dans Talons aiguilles de Pedro Almodóvar, de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways de Xavier Dolan à Romain Duris dans Une nouvelle amie de François Ozon, pour ne citer que quelques exemples d’acteurs qui ont su troubler nos regards et certitudes. Le cinéma a une longue histoire avec le travestissement et notamment l’homme habillé en femme. Il faudra désormais compter avec Ugo Broussot.