Il n’est jamais trop tard pour découvrir un classique. Il est toujours bon de revenir aux bases. Pour mieux apprécier le présent et accueillir le futur en marche. Cette perle de Jean Renoir n’en finit pas d’éblouir l’œil et de toucher au cœur.
C’est l’un des plus beaux films du monde. Il résulte pourtant d’un destin contrarié, et c’est cette singularité qui en fait l’éclat. Ce moyen-métrage de quarante minutes, initié pour être un long-métrage, fut ralenti au tournage par le mauvais temps, puis interrompu, car Jean Renoir partit entamer son opus suivant, Les Bas-fonds. Suivront d’autres projets enchaînés (La Grande iIlusion, La Marseillaise, La Bête humaine, La Règle du jeu), la Seconde Guerre mondiale, l’Occupation, l’exil à Hollywood, et peut-être un désintérêt du cinéaste pour son aventure abandonnée. Partie de campagne trouvera finalement son salut grâce à la ténacité de son producteur Pierre Braunberger, qui fit tout pour mener la barque à bon port en 1946. Deux cartons furent rajoutés pour pallier les manques narratifs et temporels. Le résultat ravit depuis plus de soixante-quinze ans.
C’est l’histoire d’un dimanche à la campagne, cher à la tradition bucolique française. C’est l’histoire d’un déjeuner sur l’herbe, déjà sacralisé picturalement par Édouard Manet (1863), puis Claude Monet (1865-1866), et auquel Renoir consacrera son film… Déjeuner sur l’herbe (1959). C’est l’histoire d’un fils, réalisateur, qui salue son père, peintre, d’un art à l’autre. Le geste d’Auguste Renoir nourrit en effet ce fil filial, d’Au jardin – Sous la tonnelle au moulin de la Galette à La Balançoire (1876), en passant par Le Déjeuner des canotiers (1880-1881). Ce sens de la transmission et de l’hommage épate autant qu’il émeut. Il s’épanouit subtilement au service d’un récit bouleversant, tiré de la nouvelle éponyme de Guy de Maupassant, et épaulé par des collaborations artistiques uniques (Joseph Kosma, Jacques Becker, Henri Cartier-Bresson, Luchino Visconti…).
La fluidité de la narration passe de la joie à la mélancolie, de l’espoir à la résignation, du désir à l’amertume. La mise en scène capte les jeux de l’amour et du hasard de cette journée anodine, qui forge pourtant des destins. Henriette et Henri sont saisis par leur rencontre au bord de l’eau, galvanisés par le plaisir, et ramenés à leur vie sans l’autre quand ils se recroisent des années plus tard, sur les mêmes lieux. Partie de campagne, c’est la légèreté et la profondeur, l’espoir et le désenchantement, l’âge des possibles et l’amour impossible. C’est le visage de Sylvia Bataille, imprimé à jamais sur l’écran, de l’euphorie aux larmes, face à Georges Darnoux, en mode Jean Gabin. C’est l’escarpolette et la friture. C’est les gloussements vigoureux de Jane Marken et la moustache qui frise de Jacques Brunius. C’est l’eau qui coule et le temps qui passe. C’est la persistance de l’art et du cinéma. Sans oublier le sous-texte politique : l’intrigue a lieu durant l’été 1860, mais le film fut tourné durant l’été 1936, alors que les congés payés venaient d’être instaurés par le Front populaire.
La Direction d’acteur par Jean Renoir, documentaire de vingt-deux minutes, couplé à ce grand classique, s’avère une bonne idée de cette reprise restaurée par l’Agence du court-métrage. Il permet de voir et d’entendre le cinéaste, en pleine action d’un atelier sur le jeu avec la réalisatrice et interprète Gisèle Braunberger, affiliée au fameux producteur. Pas de révélation cependant en termes de cinéma, ni de lien forcément pertinent par rapport à Partie de campagne, car l’accompagnement de Renoir est parfois contradictoire, dans la démarche d’un jeu à blanc, sans intention. Mais la rareté du document et sa portée historique et cinéphilique en font un élément précieux.
Olivier Pélisson