Peu de longs-métrages grecs arrivent jusqu’aux salles françaises. Encore moins de premiers films. Sofia Exarchou offre avec Park un regard frontal et stylisé sur son pays.
Étrange état que celui dans lequel on est pendant et après la vision de Park. Sofia Exarchou réussit à créer une atmosphère et un univers forts. Soit le réel village olympique d’Athènes, construit pour les J.O. de 2004 et à l’abandon depuis, en périphérie du centre-ville. Gagné par les herbes folles et la rouille, il sert ici de décor, dix ans plus tard, aux déambulations d’une jeunesse livrée à elle-même. Il incarne aussi le présent de la Grèce, pays exsangue, pulvérisé par la crise économique et bouleversé par les récentes migrations. Un puissant revers de son passé glorieux. C’est donc un terreau de ruines symboliques et d’espaces obsolètes que foulent des adolescents errants.
Dans un enchaînement de tableaux plutôt qu’une histoire avec un début et une fin, la cinéaste filme ses anti-héros esseulés, athlètes déchus ou migrants désœuvrés. Des filles et des garçons arpentent gradins, terrains, vestiaires, gymnases et piscines. Tels des animaux, ils s’accrochent à une complicité avec des chiens SDF. Victimes réduites à un quotidien d’attente et de survie. Les petits boulots sont fragiles. L’auteure capte un monde où prime la circulation des corps. Corps voués aux humeurs, aux pulsions, aux besoins primaires. On se toise, on se nargue, on s’attrape. On se désire aussi, mais la sexualité est compliquée quand la violence sourde gangrène l’humanité. Au plus près d’une caméra à l’épaule, ou s’agitant dans des plans plus larges, les personnages se débattent avec leur énergie, et tentent l’altérité, souvent vouée à l’affrontement.
Loin de glorifier les paysages coincés entre ciel, terre et mer, Sofia Exarchou et sa chef-op’ polonaise Monica Lenczewska gomment l’éclat méditerranéen au profit d’un monde terni. Comme une immense cage, où les créatures répètent leurs gestes en boucle. Ils traînent, englués dans un déterminisme pour l’instant sans issue, auquel les touristes de passage n’apportent rien, sinon le miroir d’un espoir muselé. Constat cruel, mais que la réalisatrice a le mérite d’imprimer sur l’écran. Un regard organique, à un moment où une nouvelle génération du cinéma hellénique se confirme, avec Jacqueline Lentzou (Hector Malot, the Last Day of the Year, court présenté à la Semaine de la Critique 2018), et Vasilis Kekatos, Palme d’or 2019 du court-métrage pour La Distance entre le ciel et nous, dont l’un des deux interprètes apparaît ici dans un petit rôle.