Cannes animé !
Deux films d’animation présentés à Cannes cette année, c’est peu, mais leurs projections auront été des parenthèses de réflexion intense sur les faiblesses du genre humain.
Où est Anne Frank ! d’Ari Folman, présenté hors compétition, ne déçoit pas. L’intrigue fait ressurgir à notre époque Kitty, personnage imaginaire auquel s’adressait Anne Frank en 1942 en écrivant son journal intime. Ari Folman établit un parallèle judicieux entre le présent et le passé au travers d’allers et retours dans le temps : la réalité des squats des migrants pourchassés aux Pays-Bas d’aujourd’hui fait écho à la chambre où Anne Frank fut cachée pour échapper à l’extermination nazie. Folman montre une circularité de l’Histoire à travers des séquences animées toujours soignées et fines. Il examine combien nos contemporains vouent un culte à la mémoire d’Anne Frank, arpentent son musée en touristes, baptisent telle école, place ou statue à l’effigie de la jeune fille sacralisée. Et néanmoins, ils sont paradoxalement oublieux des leçons de l’Histoire quand elle se répète. Où est Anne Frank ! répond ainsi en tout premier lieu à l’indignation de son titre : « l’institutionnalisation » est un danger qui emprisonne la mémoire des hommes.
Annoncé tardivement dans la nouvelle section Cannes Première, le spectaculaire Belle de Mamoru Hosoda raconte l’histoire de Suzu, lycéenne discrète, intégrant le monde virtuel de U aux 5 milliards d’abonnés. Elle choisit alors un avatar de chanteuse intergalactique (Belle) et devient une superstar du réseau. Sa rencontre avec un monstre mystérieux est le point de départ d’une aventure rocambolesque… Très attendu après ses précédents accomplissements : Miraï, ma petite sœur, Le Garçon et la Bête, Les Enfants loups, Ame & Yuki, Mamoru Hosoda réalise avec Belle une œuvre à l’esthétique vertigineuse : un déluge de couleurs enlumine une inventivité ahurissante et sans faille. Des centaines de personnages virtuels adorables rappelant l’univers en mouvement de Takashi Murakami décrivent le monde de U où Belle se taille la part du lion, princesse florale, majesté hyper-sophistiquée. Parallèlement, l’univers traditionnel de la campagne nippone de Suzu renoue avec les décors somptueux de nature, bleus et verts, des compositions du maître Miyazaki. La séduction l’emporte et pallie un scénario sans trop d’aspérités… jusqu’à l’éclosion d’une critique sur la violence ordinaire que l’on ne soupçonnait pas. En cela, Hosoda prouve sa qualité d’auteur dépassant l’étiquette de « conteur pour enfants », que l’on attribue (encore) aux artistes d’ « anime » japonaise. Belle est une nouvelle occasion de briser les préjugés.