Quatre âges de la vie, quatre personnages féminins qui n’en font qu’un. Arnaud des Pallières tresse un destin sinueux et signe un film fort dont l’audace de forme libère une limpidité de fond : se rassembler prend du temps.
Une longue femme brune sort de prison, revêt un tailleur virginal et se rend dans une école où Renée, blonde institutrice trentenaire qui essaie d’avoir un enfant avec son compagnon, l’accueille sans entrain. Peur et honte mêlées : Tara (Gemma Arterton), la flamboyante, fait assurément partie du passé de Renée (Adèle Haenel), jadis appelée Karine, et qui semble avoir mis beaucoup d’énergie à devenir quelqu’un d’autre. Rangée, discrète, installée…
Alors qu’elle est emmenée en prison, le récit s’embarque avec Sandra, la vingtaine, qui séduit des hommes plus âgés, dont son régulier, Maurice (Sergi López), et travaille sur un champ de courses. Sa rencontre avec Tara la mène vers une arnaque qui tournera mal et se soldera par l’arrestation de cette dernière. Deux actrices, deux prénoms, un seul personnage ? Oui, car la troisième époque nous voit remonter encore un peu plus dans le temps et rencontrer Karine (Solène Rigot), 13 ans, bien qu’elle en paraisse 16, qui s’étourdit dans les boîtes de nuit, s’offre à qui veut et rencontre un homme mûr et gentil, Maurice, bref fait tout pour fuir un père aigri et violent (Nicolas Duvauchelle) Et c’est ce même père qu’on retrouve, doux et aimant, dans une casse automobile où la jeune Kiki, 6 ans, vivra l’expérience terrible qui ravagera son existence et celle de son entourage…
Après avoir débuté dans le documentaire, Arnaud des Pallières avait jusque-là tissé les fils fictionnels d’histoires plutôt chorales (Adieu, Parc), croisées ou pas, et en tout cas masculines (Michael Kohlhaas). Ici, il s’appuie sur un scénario très autobiographique de sa coscénariste depuis ce dernier film, Christelle Berthevas, et nous raconte, à rebours, de ses trente ans à son plus jeune âge, une femme multiple. L’idée était simple, mais il fallait y penser : nous sommes différents à chaque âge. Forgés, malaxés, érodés par les rencontres, les échecs et réussites, les accidents et hasards de la vie… L’enfant que nous étions ressemble parfois assez peu à l’adulte que nous sommes devenus. Intérieurement s’entend. Alors, figurer cet invisible dedans devient une idée de cinéma : filmer le cœur et l’âme qui nous guident, nous freinent ou nous emportent via quatre enveloppes charnelles distinctes… Quatre actrices endossent un morceau du puzzle ; de la très chevronnée Adèle Haenel, qui fait sourdre l’angoisse et le mystère avec délicatesse – la seule qu’on revoit au long du film, car elle représente cette héroïne ici et maintenant, à l’heure où, si tout est déjà joué, tout peut encore arriver – à l’étourdis-sante enfant qu’est Vega Cuzytek, en passant par Adèle Exarchopoulos et Solène Rigot, toutes deux sidérantes dans l’adolescence, ses rondeurs et ses rugosités. Images brutes, voire brutales (la lumière est signée Yves Cape, directeur de la photographie pour Bruno Dumont, Claire Denis, Patrice Chéreau et récemment Sage Femme de Martin Provost), très gros plans qui scrutent les grains de peau, montage intelligent et virtuose, cette radiographie d’un être qui s’est laissé porter au gré du vent et s’est éparpillé est aussi le portrait d’une génération d’enfants perdus. Un universel constat du temps qu’il faut pour se rassembler, atteindre à la pacification entre toutes les facettes d’une même personne. Devenir un être de choix et de conscience.