Portrait d’une jeune fille de son temps et décalée à la fois, ce premier long- métrage est une découverte vivifiante, signée Anna Cazenave Cambet. Avec une révélation : Tallulah Cassavetti.
Beauté de la radicalité. Le geste de cinéma d’Anna Cazenave Cambet est désossé de tout chichi. Après ses courts-métrages Gabber Lover (Queer Palm à Cannes en 2016) et lemanja cœur océan (2017), elle retrouve le désir et le bord de mer ; de manière, cette fois, frontale sur la sexualité dès le premier plan, où un jeune couple fait longuement l’amour. Esther apparaît telle une descendante de la Betty de Philippe Djian et Jean-Jacques Beineix (37°2 le matin), libre et décomplexée, mais non aimée en retour et gardant sa raison. Ce flirt estival pourtant éphémère va guider la route de l’héroïne, du haut de ses dix-sept ans. Naïve mais volontaire, délaissée par sa mère, et à demi concentrée sur son job de vente de glaces dans sa station balnéaire landaise, elle mène son quotidien avec un mélange de nonchalance et d’engagement : une existence à vif, car sans filtre. Arrivée à Paris, sur les traces du garçon, elle va découvrir un autre monde, en se laissant guider par les rencontres et son instinct.
Judicieuse idée de démarrer par la nudité et le sexe, pour aller vers une expérience plus intérieure, tout en habillant progressivement cette étoile (de mer). Esther (étymologie liée à cet astre) expérimente, subit, même si elle dit parfois non, avant de rencontrer une forme de grâce, intriguée par la féminité offerte au divin entre les quatre murs d’un couvent. Comme les nonnes, l’adolescente traverse à sa façon la vie avec absolu. Une profession de foi viscérale, même si elle n’est pas intellectualisée, et qui s’appuie sur une mise en scène précise. Anna Cazenave Cambet a un œil de photographe et le sens du cadre. Des dunes aux visages, des cellules de retraite au corps qui danse, l’inscription des personnages dans l’image se nourrit d’une construction sensorielle de l’espace et de l’instant. Le traitement des couleurs et du rendu des peaux, du soleil doré à la blancheur monacale, est savoureux, grâce au travail du chef-opérateur Kristy Baboul. Tout comme l’esthétique pop (générique initial, teintes acidulées chez le glacier, nuances vives des vêtements, éclairages rouges, puis bleus), accentuée par la musique électro originale de Koudlam.
Beaucoup de soin et d’exigence dans ce film, au service d’un regard bienveillant sur le féminin, porté par la cinéaste et sa coscénariste Marie-Stéphane Imbert. C’est aussi un véritable accompagnement de cheminement existentiel, et de l’incarnation de Tallulah Cassavetti. Une révélation. Présence évidente, aplomb confondant. Elle embarque dans son sillage la composition tendue d’Ana Neborac, la décontraction distancée de Corentin Fila, et la présence solide et décalée de Carole Franck et Julie Depardieu. On est ému quand Esther partage une fin de soirée avec un barman dans un café du XXe arrondissement parisien, intrigué quand la religieuse taiseuse tient son monologue. Et on sait, quand la projection se termine, et que la protagoniste reste seule face à son destin, qu’il s’est passé quelque chose. À commencer par la confirmation d’une vision, celle de la réalisatrice. Défendu par la Semaine de la Critique dans sa sélection Hors les murs 2020, De l’or pour les chiens est une œuvre qui brille d’une lumière brute et intense.