Enjoué et éminemment plastique, abordant un sujet grave – la résilience et le don de soi face à la mort – Okko et les fantômes de Kitarô Kôsaka repousse les limites de l’anime bien au-delà du simple divertissement. Étonnant.
Sélectionné en compétition au dernier festival d’Annecy, Okko et les fantômes de Kitarô Kôsaka, qui sera sur nos écrans en France avant même qu’il ne sorte au Japon, naît après l’exploitation d’un univers déjà largement plébiscité, puisqu’il est l’adaptation d’un livre initial au succès retentissant au Pays du Soleil Levant, de plusieurs tomes d’un Shōjo manga (dessiné par Eiko Ouchi) et d’une série pour la télévision.
Couronnant l’ensemble de cette production florissante, le projet de cinéma a été confié très tôt à Kitarô Kôsaka, dont il s’agit, certes, de la première réalisation, mais qui n’est pas un inconnu : il s’est affirmé comme l’un des plus anciens et prestigieux collaborateurs de Hayao Miyazaki, créateur de l’animation, parmi les plus beaux spécimens du Studio Ghibli, de Nausicaä de la vallée du vent (1984) au très beau Le vent se lève (2013), en passant par Le Château dans le ciel (1986) ou encore Princesse Mononoké (1997). Bref, un CV à faire rêver…
À la vision d’Okko et les fantômes, le spectateur sent d’emblée Kitarô Kôsaka dans les pas du maître Miyazaki, dont il a notamment préservé l’ultra sensibilité caractéristique, quasi physique, pour représenter la nature environnante. Le film séduit aussi par son extrême sagacité : le trauma introductif d’Okko assistant à la mort brutale de ses parents lors d’un accident de voiture dont elle est miraculeusement rescapée, définit les contours psychologiques de son héroïne. Fil conducteur que l’on ne lâche jamais – qui rappelle, dans un tout autre genre, celui de Coco de Lee Unkrich -, le thème de la mort et de ses conséquences liées au phénomène de résistance au choc est le centre nerveux d’une expression colorée, débridée et fantastique (Okko voit concrètement des fantômes).
Malgré la faille profonde qui l’habite, illustrée par des réminiscences de bonheur familial délicates et touchantes, Okko n’en est pas moins une petite fille joyeuse, effervescente. Elle s’adapte avec bravoure à ses nouvelles conditions, celles de tenir au carré l’auberge patriarcale de sa grand-mère, douce et inflexible sur les rites et l’art de l’hospitalité japonaise.
Kitarô Kôsaka se concentre dès lors à décrire la sollicitude et les renoncements de sa petite Okko comme l’origine même de son énergie. Son désir de s’oublier elle-même et de satisfaire le bonheur des clients est l’objet d’une morale (« les cinq agrégats constitutifs de l’homme dans le bouddhisme ou la théorie marxiste ») que le réalisateur considère nécessaire d’inculquer aux enfants, adultes de demain : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. »
Ce message fin et profond qui irrigue subtilement les veines d’Okko et les fantômes redéfinit à lui seul les qualités de l’animation tout public, ratifiant au passage, s’il en était encore besoin, l’inégalable maestria nippone en la matière.