Sur les doigts d’une main se comptent les femmes au pouvoir dans les industries du CAC 40. Main de fer dans un gant de velours, Tonie Marshall signe un grand film acide et tonique. Avec Emmanuelle Devos, parfaite.
Les hauts immeubles de La Défense, armatures d’acier et vitres teintées, renvoient les reflets déformants d’un monde régi presque exclusivement par des hommes. Univers froid et minéral, où de l’intérieur, face aux grandes baies vitrées ouvrant sur un panorama urbain où les humains sont autant de fourmis, on peut aisément se croire le roi du monde. Ces imposants bastions restent à prendre par les femmes, ici une femme, Emmanuelle Blachey, brillante ingénieure, épouse et mère, qu’un groupe de femmes d’influence décide de pousser à la tête d’une grande entreprise dédiée à l’énergie. Tonie Marshall (Vénus Beauté (institut)) a coécrit un scénario foisonnant avec Marion Doussot (La Marcheuse de Noël Marandin) et l’aide de la journaliste et grand reporter Raphaëlle Bacqué. On sent qu’elles possèdent leur sujet, que le machisme en costume trois pièces et les intrigues de Palais (Brongnart), les petites phrases perfides prononcées avec le sourire, n’ont pas de secrets pour elles. On serait même au bord de penser que, parfois, elles sont en dessous de la vérité, parce que sinon « ça ferait trop » ! Dans sa mise en scène, il y a une élégance imperturbable dans la façon d’embrasser cet univers impitoyable, son décorum, ses chorégraphies et ses partitions dialoguées. Bien que centré autour d’Emmanuelle Devos, une fois de plus parfaite, dans les forces comme dans les failles du personnage, le film est choral, au sens le plus strict du terme. Car chacune et chacun a voix au chapitre. Les hommes sont séduisants, facétieux et menteurs, et Richard Berry et Benjamin Biolay n’ont jamais été aussi justes. Les femmes sont brillantes, résolues et fines stratèges : Francine Bergé est une sublime évidence dans le rôle d’Adrienne Postel-Devaux, éminente défenderesse et prêtresse de la cause des femmes, et Suzanne Clément et Anne Azoulay apportent leur singularité respective à deux caractères trempés. Jamais univoque, le film se déploie avec d’infinies variations et une grande intelligence sur ce thème peu traité chez nous. C’est drôle souvent, même si le rire grince et se coince ; c’est constamment vif et vivant, incroyablement humain, et passionnant comme un polar.