Avec Nos vies formidables, qui plonge une dizaine de personnages dans un centre de désintoxication, Fabienne Godet signe une ode à la solidarité d’une grande force émotionnelle.
À l’origine de ce projet, il y a un long et consciencieux travail d’observation et d’écriture, une méthode à mi-chemin entre le documentaire et le théâtre. Fabienne Godet (Sauf le respect que je vous dois, Ne me libérez pas je m’en charge, Une place sur la terre) a passé deux ans à assister à des réunions de groupe d’alcooliques et narcotiques anonymes, à s’immerger dans une communauté thérapeutique, à écouter, s’imprégner, et prendre des notes. Puis elle a rassemblé ses comédiens lors d’une résidence et a nourri son écriture avec eux et sa coscénariste, Julie Moulier, qui incarne le rôle central de son film. Le producteur Bertrand Faivre, complice de Fabienne Godet depuis ses débuts, a financé le projet avec ses fonds propres, autorisant ainsi une grande liberté de création à l’équipe.
De ce travail collectif de longue haleine est née une fiction de deux heures, où toute la rigueur et la sensibilité de la cinéaste se font sentir. Nous y suivons la trajectoire de Margot, dès son arrivée dans un centre de réhabilitation à la campagne, où sont rassemblés des hommes et femmes de tous horizons et de tous âges, que la dépendance a détruits. Jour 1, jour 2, jour 3… La structure narrative fait état du temps qui passe et avance avec précision, ménageant un suspense discret, qui prend son essor dans les dix dernières minutes, saisissantes.
Margot, c’est Julie Moulier, ancienne élève du Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris, qui s’est fait connaître au théâtre, en France et à l’étranger, par son travail avec Olivier Py, John Malkovich ou Patrice Chéreau, et que l’on a croisée au cinéma dans Grand Central et Planetarium de Rebecca Zlotowski ou Victoria de Justine Triet. Long corps athlétique, yeux bleu turquoise, visage d’abord dur et fermé, puis plus ouvert et souriant à la fin, elle donne à sentir avec une grande puissance expressive l’immense douleur rentrée que porte son personnage et que sa confrontation aux autres va permettre de dissoudre partiellement.
Les autres, l’absolue nécessité de leur présence, sont au centre de ce film, scandé par des séquences de réunions de parole ou de récréations collectives. Ce sont des scènes d’une belle justesse, où se racontent la souffrance de chacun et l’espoir de s’en sortir grâce à la cohésion de groupe. Autour de Julie Moulier, dans le rôle de patients, Johan Libéreau, Bruno Lochet, Camille Rutherford, Zoé Héran (la formidable Tomboy de Céline Sciamma, c’était elle) et leurs partenaires de jeu sont tous épatants de justesse.
Avec eux, Fabienne Godet parvient à transcender la rudesse de son sujet. La lumière de ses images est à la fois crue et douce, et nimbe de clarté le récit de ce retour au monde progressif. S’en dégagent une vitalité, une chaleur humaine, un humanisme à l’œuvre dans tout le travail de cette cinéaste qui mène sa barque avec une remarquable détermination.