Partant d’un film simple sur un après-divorce douloureux, My Zoé, huitième long-métrage de Julie Delpy, glisse subtilement vers la tragédie et le film de genre et une horreur clinique, qui crée une image moderne de la mère monstre.
[Attention, cet article vous dévoile le scénario et la fin du film.]
Ils se sont aimés, ils se sont désaimés, ils se déchirent. Les vicissitudes communes de la séparation difficile : Julie Delpy et Richard Armitage ressemblent à bien des divorcés, avec leurs mesquineries, leurs coups bas, leurs orgueils blessés. On la connaît bien, cette Guerre des Rose, sans cesse rejouée, mais très vite, il apparaît que l’actrice-réalisatrice-scénariste déplace sa focale de ce face-à-face post-conjugal : ce n’est pas le couple qui se détruit qu’il faut regarder de près, et comment leur petitesse revancharde, leur ressentiment aveugle, leur cynisme imbécile les rendent médiocres, et même détestables. Ce qu’il faut observer, c’est comment chacun, père et mère, joue son rôle de parent, égoïstement.
My Zoé commence par scruter les conflits insolubles de l’ancien couple, la violence induite engendrée par leur échec, l’impuissance vécue, le trauma douloureux, long et insurmontable pour le père. Mais l’enjeu du drame, c’est l’enfant, littéralement écartelé entre ses deux parents. Julie Delpy s’est inspirée de son propre divorce, conflictuel, qui l’a confrontée à la séparation d’avec son enfant, désormais partagé. Elle l’a vécu avec le sentiment d’un écartèlement, allant jusqu’à la conclusion que l’enfant du divorce se sépare lui-même, comme la division d’une cellule : d’un côté l’enfant du père, de l’autre l’enfant de la mère, soit un enfant comme dédoublé, jusque dans sa personnalité, devenue duale.
D’une manière inattendue, Julie Delpy scénarise à partir de là un tournant radical et violent : elle fait disparaître l’enfant, objet narcissique de ses parents. La tragédie de la mort de l’enfant change le film lui-même : le conflit haineux des parents n’était que le premier temps de ce récit binaire, voici le temps du deuil et comment la mère le surmonte, en clonant l’enfant mort.
Changer l’enfant mort en enfant vivant, le faire revivre, trait pour trait : voilà l’entreprise science-fictionnelle extraordinaire de My Zoé. La dimension scientifique horrifique de ce projet à l’éthique scandaleuse rapproche le film de Les Yeux sans visage de Georges Franju, où l’amour dévorant d’un père le conduit à une folie meurtrière pour redonner un nouveau visage à sa fille défigurée.
Mais l’épouvante de la résurrection de My Zoé prend une forme clinique, froide, et implacable, puis souriante et douce : l’enfant-clone n’est pas une créature abominable et difforme, ni même une chimère, mais une enfant de chair et d’os, bien portante, bien vivante, innocente et insouciante. Elle incarne le bonheur retrouvé de la mère jusqu’au malaise. Julie Delpy donne naissance à une figure moderne de la mère-monstre, qui enfante au nom d’un amour maternel dévorant.