Le cinéma de Croatie est rare sur les écrans et cette découverte solaire et signée d’une jeune réalisatrice a décroché la Caméra d’or à Cannes. Elle brille par la destinée de son héroïne fascinante.
Révélé à la Quinzaine des Réalisateurs et récompensé sur la Croisette par la 43e Caméra d’or en 2021, Murina gagne les écrans français à un peu moins d’un mois de la 75e édition du Festival de Cannes. Ce premier long-métrage marque les débuts dans le format long de la réalisatrice croate Antoneta Alamat Kusijanovic, après une série d’œuvres courtes, dont Into the Blue, primée à Berlin, Angers et Sarajevo. Elle développe et prolonge ici ce qu’elle filmait déjà dans ce précédent opus : la jeune héroïne Julija et sa mère, le décor d’une île en mer Adriatique, la féminité et l’adolescence soumises au patriarcat, la rébellion face à un destin programmé. Des thématiques récurrentes au cœur des œuvres du jeune cinéma actuel, des Poings desserrés de Kira Kovalenko à A Chiara de Jonas Carpignano, en passant par Libertad de Clara Roquet.
Julija vit sous la coupe de son père despote. Tenant aussi sa femme (Danica Čurčić) sous son joug, celui-ci voit son microcosme menacé par le retour d’un riche ami américain, venu en visite avec une délégation de touristes, et bouleversant le trio à l’équilibre malsain. L’adolescente prend conscience de sa soumission et de son enfermement. Son corps et son âme vont soudain se réveiller. Le personnage, passionnant dans son volontarisme et sa nouvelle témérité, est porté haut par Gracija Filipović, déjà protagoniste du court-métrage précité. Sa grâce athlétique, sa beauté minérale, son aisance aquatique, son incandescence dans le questionnement comme dans le mutisme, son assurance ancrée dans la roche et l’eau confèrent au film une énergie magnifique. Dans cette prison à ciel ouvert, les cadres, les images et les dégradés de bleus de la directrice de la photographie Hélène Louvart accompagnent l’héroïne et l’aventure avec un brio plastique et émotionnel.
Murina trace son chemin par l’éveil à l’affirmation de soi et par son inscription dans un espace naturel dénué de verdure. C’est là aussi qu’il réussit son enjeu cinématographique, de la séquence d’ouverture sous-marine, chargée d’ambiguïté dramatique, à la résolution finale, où Julija baigne dans son destin de femme en devenir. La ligne du portrait juvénile et le lien au pater monstrueux sont les deux axes les plus intéressants, quand la tension existentialo-sexuelle du quatuor, et l’amitié/rivalité entre les deux hommes campés par Leon Lučev et Cliff Curtis – ambiance Plein Soleil – La Piscine – A Bigger Splash -, sonne plus creux. On a la sensation d’y voir une facilité de scénario pour créer un cadre à l’évolution de la protagoniste. Comme s’il fallait lui donner du relief par des problématiques collatérales. Malgré cela, le générique fini, on garde imprimée sur la rétine la présence farouche de Julija, le regard en alerte et munie de son harpon.
Le système minuté
Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.