La carrière du compositeur-interprète de Je m’voyais déjà et de La Mamma, de ses débuts très difficiles à sa réussite internationale. Un succès atteint à force d’obstination, d’un opportunisme magistralement maîtrisé et d’un talent certain, imposé contre vents et marées par celui que l’on avait méchamment surnommé « Le petit Charles ».
Le film biographique n’est pas le point fort du cinéma français, contrairement à son grand rival américain. Pour le très convaincant portrait de La Môme (Olivier Dahan, 2007), combien de Simone, le voyage du siècle (id., 2022)… La troisième réalisation (après Patients, 2017, et La Vie scolaire, 2019) du tandem Mehdi Idir et Grand Corps Malade contredit cette affirmation. En effet, disons-le d’emblée, l’évocation du parcours très accidenté du plus célèbre chanteur français sur le plan international est une réussite. Celle-ci est due principalement à l’impressionnant travail d’identification physique de l’acteur franco-algérien Tahar Rahim avec son modèle. Un choix initialement inapproprié, puisque l’interprète du Prophète de Jacques Audiard (2009) ne ressemblait en rien à Charles Aznavour. Mais le résultat est là, indéniable et impressionnant : s’il surprend quelque peu négativement dans sa première apparition, il ne cesse ensuite de rendre la représentation de son personnage non seulement crédible, mais de plus en plus réaliste, parvenant à plusieurs reprises, grâce à sa gestuelle, certains regards, mouvements de lèvres et intonations, à le réincarner parfaitement. Il en va de même pour Marie-Julie Baup, à qui les auteurs ont confié le rôle d’Édith Piaf, qui rend très justement la fameuse gouaille parisienne de l’interprète de La Foule. Nous n’en dirons pas autant de certaines courtes apparitions de noms célèbres de l’époque, comme celle, catastrophique, de Frank Sinatra, mais, dans l’ensemble, il faut bien reconnaître que nous avons ici affaire avant tout à un grand film d’acteurs et que cette évaluation, contrairement à la tradition critique française, se doit d’être mise au premier plan. La mise en scène des deux réalisateurs se veut généralement plutôt classique, même si parfois elle se risque à d’ambitieux mouvements de caméra, tantôt un peu inutiles, tantôt impressionnants, comme celui qui, en un long et ample pano-travelling, couvre toute une partie de quartier, envahie par l’arrivée des libérateurs américains à Paris en août 1944. La bande sonore du film s’impose de rendre le plus grand hommage possible à la qualité des chansons de celui qui n’a jamais été hissé au niveau des cinq grands auteurs-compositeurs-interprètes de son temps, les Brassens, Brel, Ferré, Ferrat, Barbara, en multipliant le nombre des chansons, parfois envahissant, juxtaposant celles chantées en direct (par Rahim lui-même) et celles provenant d’enregistrements originaux, qui illustrent plusieurs moments importants de la carrière d’Aznavour. Les admirateurs du chanteur seront certainement comblés, les cinéphiles purs sans doute moins.
Michel Cieutat