Mon gâteau préféré de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha

Le temps de vivre

Une veuve de 70 ans décide de trouver l’amour. Mais ça se passe en Iran, où rien n’est tout à fait normal. Cette tragicomédie réussit ce prodige d’être un geste politique et un moment suspendu.

Mahin a 70 ans, son mari est mort depuis longtemps, elle voit de temps à autres ses copines, téléphone à sa fille qui a peu de temps à lui consacrer. Ses jours et ses nuits sont semblables depuis la nuit des temps. Le temps : c’est ce qu’elle a de plus dans sa vie. Le temps de dormir. Le temps d’attendre. Mais attendre quoi ?

Lors d’une altercation avec des policiers qui tentent d’embarquer une jeune femme pour avoir mal porté son voile, Mahin, donc quelques mèches grises échappent de son foulard est elle-même prise à parti mais elle défend la gamine et se défend elle-même calmement, fermement.

Le film suit sans esbrouffe cette femme ordinaire. Mais peu à peu, au détour d’un plan de Mahin solitaire dans le bar chic d’un hôtel, à la faveur d’une phrase échangée avec la jeune femme qu’elle a sorti des griffes de la police, tout le contexte de l’Iran d’aujourd’hui s’immisce dans le quotidien de cette femme normale. Et il est clair que rien n’est normal. Mahin a connu le temps où une femme pouvait chanter, danser, se maquiller, sortir seule, boire un verre. Mahin a connu le temps d’avant la police des mœurs (qui depuis 2005 veille au respect des lois de l’Islam). Et pour le temps qui lui reste, elle décide soudain de faire ce qu’elle veut. Elle met du bleu à ses paupières, du rouge sur ses ongles et elle sort. Lentement, méthodiquement, elle parcourt la ville et de boulangerie en parc, de bar en restaurant, choisit l’homme dont elle va tomber amoureuse…

Maryam Mighadam et Behtash Sanaeeha (Le Pardon, 2020) nous offrent un film tendre et iconoclaste porté par la lumineuse actrice Lili Farhadpour. C’est beau, c’est tendre, c’est joyeux et ça vous brise le cœur. Pour cette folle audace, ils sont menacés de prison dans leur pays pour « propagande contre le régime ». Femme ! Vie ! Liberté !, la révolution qui a embrasé l’Iran suite à l’assassinat de Jina Mahsa Amini n’est jamais citée ici, mais elle respire dans chaque plan et impulse un rythme fou à Mon gâteau préféré. Comme un cœur qui bat.

 

Isabelle Danel