Jean-Paul Civeyrac dresse le portrait d’un étudiant en pleine initiation à la vie parisienne, amoureuse et cinéphile, relatant sans concessions la fébrilité des sentiments et des opinions.
Jean-Paul Civeyrac est l’un des plus sensibles cinéastes français d’aujourd’hui. Il aborde ici la société actuelle en creux, par le prisme d’un petit groupe de jeunes cinéphiles à Paris (mention spéciale à tous les acteurs, majoritairement inconnus). Étienne (exceptionnel Andranic Manet), figure centrale du récit, vient de province, et « monte » à Paris pour faire des études de cinéma à l’université. Il est en pleine éducation sentimentale et intellectuelle, se cherche encore, en plein doute artistique et amoureux. Ses rencontres, de colocataires qui se succèdent aux camarades de la fac, sont pour lui des guides qui nourrissent sa passion autant qu’ils bousculent ses illusions. Presque mutique, il prend rarement part aux débats qui s’organisent sur les films ou les rapports humains. Il observe. En véritable personnage romantique, il pourrait provenir d’un roman de Hermann Hesse.
Après Des filles en noir (2010) à la tonalité âpre, et Mon amie Victoria (2014) plus romanesque, ce nouveau film se situe entre les deux, à la fois léger (parfois drôle au gré des discussions cinéphiliques) et grave (la mort, l’échec), entre une ferveur insouciante et une mélancolie du désespoir. Le film aborde ses sujets (l’amitié, l’amour, la politique, les idéaux…) par le biais du cinéma lui-même. Il questionne le rôle de la critique par le biais du personnage de Mathias, qui parle avec franchise du travail de ses camarades en reprochant le manque de sincérité de la plupart des films actuels. Un éloge sous-jacent s’établit envers un cinéma qui se préoccupe de ses contemporains sans être didactique.
Dans la confiance des moyens propres au cinéma, et non ceux de la littérature ou du théâtre, Civeyrac est dans la lignée des préceptes de Robert Bresson. On retrouve d’ailleurs, comme chez ce dernier, une mise en scène économe, une ascèse jouant avec les ellipses, les cadrages découpant les corps… Dans la continuité d’un cinéma d’auteur exigeant post-Nouvelle Vague (on pense à Jean Eustache et Mes petites amoureuses, Jean-Paul Civeyrac serait le chaînon manquant entre Jean-Claude Brisseau et Philippe Garrel.
Même si on peut situer le film dans un temps très proche (à la radio, il est question des dernières élections françaises), la jeunesse observée est hors du temps. Cette impression est accentuée par un noir et blanc au caractère intemporel et poétique. Mêlant la stylisation et le réalisme, le romanesque et le politique, Mes provinciales tient en équilibre entre l’explicite (les bavardages sur les films), et des sentiments non exprimés. C’est dans ces non-dits que le film est le plus émouvant. Une grâce survient, proche d’un mysticisme, qui connecte les individus les uns aux autres par des visages en gros plan auréolés de lumière.
Benoit Basirico