Une actrice. Plusieurs voix. À la croisée du documentaire et de la fiction, Mémoires d’un corps brûlant réunit tous les éléments d’un grand, très grand film, avec une prouesse et une délicatesse stupéfiantes.
La poésie, le feu, la vie d’une femme, l’inconscient collectif de toutes les femmes du Costa Rica (et d’ailleurs) : n’ayant pu obtenir de réelles confessions de ses propres grands-mères, la réalisatrice costaricaine a créé Mémoires d’un corps brûlant à partir du désir de faire parler de leur sexualité des femmes âgées, ayant vécu à leur époque sous le joug d’une culture archaïque. Antonella Sudasassi Furniss a ainsi recueilli les témoignages de huit femmes, aux vies longues et différentes, mais dont les souvenirs forment ensemble une même parole, une histoire qui génère son propre écho, et un cri libérateur puissant. Transcendant la forme documentaire, Mémoires d’un corps brûlant déploie un dispositif narratif surprenant, qui frôle la fiction.
Antonella Sudasassi Furniss met en scène une femme, Ana (Sol Carbello, mise à nu, hypnotisante), dans son quotidien, seule dans sa maison. Au fil du récit, des fantômes prennent vie, des souvenirs s’égrènent, des albums de photos sont extirpés… Le son de la voix de la comédienne fait surgir la mise en scène, une bascule entre aujourd’hui et hier, un jeu constant entre la mémoire et ce qu’il en reste. À travers une collection de plans-séquences vertigineux, la caméra bascule, tournoie, s’échappe… inattendue, légère, terrifiante, tendre et cruelle, à mesure que la protagoniste cherche à se rappeler, à signifier les détails, dans le désordre, mais sans chaos. Il y a dans l’écriture, l’image, l’interprétation et le rythme de ce film une telle tendresse, un parti pris esthétique si pur et des talents si parfaitement synchronisés que le résultat dépasse les espérances. La lumière et les cadres d’Andrés Campos Sánchez, les décors de Amparo Baeza Infante et le montage de Bernat Aragonés forment, autour du scénario et de la direction d’Antonella Sudasassi Furniss, une symphonie cinématique que Michel Gondry ne renierait pas.
Le poids de la honte, de la religion, de l’autorité patriarcale, de l’ignorance comme arme de contrôle… L’innocence, l’injustice, la colère, l’enfance, l’adolescence, la maternité, le fardeau des années qui passent, et qui finissent par libérer… La jouissance, le plaisir, la joie… « Je remercie Dieu de ne pas être née homme. » La femme qui prononce ces mots exprime le soulagement de ne pas être du côté de ceux qui détruisent, mais, surtout, la reconnaissance d’être une femme, d’avoir survécu, compris. Et de savoir.