Un beau matin de Mia Hansen-Løve complète une intense présence de Melvil Poupaud tout au long de cette année. Le moment opportun pour faire un arrêt sur image. Un artiste. Une singularité. Et, aussi, un sacré bagage.
Qu’y a-t-il de commun entre Pierre, médecin marié et soudainement amoureux d’une autre femme, plus âgée ; Louis, professeur et poète en colère envers sa sœur depuis des années ; Jean-Claude, voisin amateur de vin, qui devient la victime d’un meurtre à répétition ; et Clément, cosmochimiste en couple, qui craque pour une ancienne amie retrouvée ? Réponse : Melvil Poupaud. L’acteur incarne en effet ce quatuor d’hommes dans quatre films à l’affiche en 2022, à savoir Les Jeunes amants de Carine Tardieu, Frère et sœur d’Arnaud Desplechin, Petite fleur de Santiago Mitre, et Un beau matin de Mia Hansen-Løve, ce dernier en salle ce 5 octobre. Sans compter sa partition de Didier, scientifique à la tête du Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés, dans la série télévisée OVNI(s), dont la seconde saison fut diffusée à la fin de l’hiver dernier.
À l’aube de ses quarante ans de carrière et de ses cinquante ans, le comédien témoigne d’un épanouissement à l’écran, tant dans les rôles qu’on lui offre que dans sa manière de les incarner. Il y a une forme de détachement dans son jeu, pourtant très présent et vivace à l’image. Comme si la rencontre avec les figures qu’il personnifie se faisait par un double mouvement d’intériorisation et de jeu décalé, d’un pas de côté. Peut-être que cette perception et cette possible approche sont nées et ont été encouragées par sa révélation, enfant, avec Raoul Ruiz. Le cinéaste chilien, qui lui mit le pied à l’étrier en petit assassin de La Ville des pirates (1983), était le roi du baroque, du regard en oblique sur les enjeux, la psychologie, la dramatisation. Faire sérieusement sans se prendre au sérieux. Trouver son plaisir dans les paris du cinéma.
Bambin intrigant chez Ruiz (L’Île au trésor, L’Éveillé du pont de l’Alma), ado en apprentissage chez l’exigeant Jacques Doillon (La Fille de quinze ans), jeune homme sentimental et romanesque chez Laurence Ferreira-Barbosa (Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel), Danièle Dubroux (Le Journal du séducteur), Eric Rohmer (Conte d’été) puis Noémie Lvovsky (Les Sentiments), il a grandi sous notre regard, et accompagne notre cinéphilie depuis quatre décennies. François Ozon (Le Temps qui reste, début de leur fructueuse collaboration) et Xavier Dolan (Laurence Anyways) lui ont ouvert et offert le passage vers la maturité d’acteur. Joueur, il savoure sa partition aussi bien au premier qu’au second plan, en Jesse James de fantaisie dans Lucky Luke de James Huth, comme en sérieux Fernand Labori dans J’accuse de Roman Polanski, en commentateur de course chez les Wachowski (Speed Racer), comme en amoureux sensuel chez Angelina Jolie (Vue sur mer), en photographe errant dans Un homme perdu de Danielle Arbid, comme en curé meurtrier dans Fou d’amour de Philippe Ramos.
Ce qui touche cette année, c’est à quel point l’art de Melvil Poupaud se patine et se bonifie. Son timbre se fait grave et mélodique, accroche ou virevolte – n’oublions pas qu’il est aussi musicien -. Sans surjeu, il se permet le cocasse, l’ubuesque, le surréalisme dans Petite Fleur. Il est aussi bouleversant d’émotion brute, et joliment barbu, face à Fanny Ardant dans Les Jeunes amants, à propos duquel il a déclaré, dans le dossier de presse du film : « D’habitude, j’aime bien jouer les personnages troubles, et là, c’était presque un effort de jouer un homme transparent dans ses intentions. Il est très entier, très honnête ». Cette verticalité de l’entièreté, tout comme cette disponibilité au rôle, on les retrouve dans Un beau matin. Il y campe, avec un sens savant de l’instant, un type qui veut croire en un nouveau chemin passionnel, face à Léa Seydoux. Le comédien se coule avec une aisance assurée dans le concret du métier de chercheur, comme dans l’assomption du désir. Un classicisme atemporel habite cette incarnation, ni complètement contemporain, ni rétro ou à l’avant-garde. Une certaine idée de la classe.