Mektoub My Love: Intermezzo

Deux ans après la présentation de Mektoub My Love : Canto Uno, à Venise, Abdellatif Kechiche présente sa suite, Mektoub My Love : Intermezzo, en compétition à Cannes. A la chronique adolescente douce et solaire du premier volet, le cinéaste offre une continuation qui laisse pantelant. En 3 h 30 (dont près de 3h passées dans une boite de nuit) le réalisateur de La Vie d’Adèle se débarrasse de toute forme de narration pour organiser une véritable transe musicale, provoquant l’épuisement des comédiens, des spectateurs et tout simplement de l’idée qu’on pouvait se faire de ce que doit être un film. Organique, dérangeante, troublante, fascinante, cette nuit d’ivresse et de tremblements, portée par une troupe de jeunes comédiens magnifiques est une expérience de cinéma inoubliable.

 

François-Xavier Taboni

Alors que le premier volet, Mektoub, My Love : canto uno, était un pur éclaboussement de cinéma, de mise en scène, d’énergie, de fantasme et de romanesque, ce volet Intermezzo de 3h28 perd toute sa force et sa lumière positive, au fur et à mesure qu’il avance. Les deux séquences principales, la plage puis la boîte de nuit, n’offrent plus le même écrin aux personnages si denses, aux enjeux, à la vitalité nourrissante, et aux liens qui les unissent. La fétichisation du cul féminin à outrance n’est plus que la seule présence du féminin, justement, jusqu’aux filles qui se font attraper par les cheveux sur le dancefloor, et aux garçons qui font joujou. Quand les obsessions d’un cinéaste tournent sur elles-mêmes sans fructifier, elles ferment l’écran à l‘humanité. La magnétique et fière Ophélie Bau tient debout, mais le personnage d’Amin/Shaïn Boumédine s’est vidé de sa substance, jusqu’à un plan final tombé de nulle part, qui n’apporte rien, hormis un autre cul de fille et un garçon qui prend la poudre d’escampette. La magie s’est envolée.

 

Olivier Pélisson

Le festival de Cannes voulait-il tester la témérité des cinéphiles de la presse internationale aux yeux cernés de fatigue, en programmant en bout de course à 22h les quatre heures de film (réduites en 3h30 à la dernière minute) de Mektoub, My Love : intermezzo d’Abdelatif Kechiche ? Étrange. Le public était bien au rendez-vous, intrépide et impatient. Le deuxième opus de Kechiche, débute là où le somptueux Mektoub, My Love : canto uno, sorti l’année dernière nous avait laissés : 1994, en plein été sur la plage de Sète, Tony (Salim Kechiouche) et l’un de ses cousins draguent une jolie blonde, Marie, une Parisienne de 18 ans, en lui proposant de rejoindre leur bande, « la famille » installée à quelques mètres de là. La jeune fille accepte. S’ensuivent vingt minutes de badinages intenses au soleil couchant avec « la petite nouvelle », entre les filles bronzées vaguement alanguies et les garçons gentiment baratineurs. Kechiche, dont on sent l’œil excité, filme les corps (surtout celui des filles) avec une passion réitérée. Au beau milieu des bavardages, le spectateur renoue avec Ophélie, la fermière « nature » d’un érotisme explosif déjà au centre de Canto uno, parlant avec Tony d’avorter de l’enfant qu’elle porte de lui, alors qu’elle doit se marier avec un autre dans un délai proche. Puis le groupe part en boîte de nuit. Trois heures durant, eux et les naïfs spectateurs que nous sommes, n’en ressortiront plus. A grand coup de techno marteau piqueur, nous voilà piégés pour un marathon de sueur et d’alcool avec très peu de mots, le nez collé au cul des filles, des booties en effervescence dans la transe, des bacchanales d’une violence telle que le trauma nous guette. Soudain Amin (Shaïn Boumedine), le saint intello timide convoité de toutes les filles et qui aime les observer, nous rejoint : désespéré, nous nous accrochons à lui pour gagner un peu d’oxygène. Peine perdue, Kechiche nous attrape au col comme des chatons et nous jette aux toilettes avec Ophélie et l’un des cousins, un pauvre diable qui tire la langue dans une scène porno terrifiante de plus d’un quart d’heure. Enfin, mine de rien, les deux sportifs retournent à la danse, qui finit d’achever le spectateur par ses longues scènes répétitives… Kechiche a parfaitement endossé le rôle de satyre (rivalisant par endroits avec le pire de Gaspar Noé) pour l’une des rares séances cannoise où autant de fauteuils auront claqué furieusement. Folie, vengeance, liberté ? Kechiche s’expliquera.

 

Olivier Bombarda