Par la grâce d’une jeune femme espiègle et d’un pays lointain, un reporter de guerre, revenu de plusieurs mois de captivité, retrouve son chemin vers la vie. Un grand beau film sensible.
Un dos, où fugitivement apparaissent des contusions. Un visage, dont la broussaille de barbe disparaît sous le rasoir. Un avion, des regards échangés. Un tarmac, des officiels, des embrassades et émotions, conjugales et familiales.
Voilà. En quelques plans, on sait ce qu’il est nécessaire de savoir de Gabriel, reporter en Syrie retenu otage avec d’autres, et récemment libéré. Il retrouve à Paris, son père, son ex-petite amie avec laquelle il renoue un temps. Libéré, oui. De la geôle et du joug. Mais dans sa tête, Gabriel est toujours contraint, toujours enfermé. Gabriel ne sait plus qui il est.
Quelques jours plus tard, le voilà en Inde sur un scooter. Rendant visite à son parrain, rencontrant la fille de celui-ci, une étudiante à l’esprit vif et aux lunettes rondes, Maya. Ce que l’on apprend, peu à peu, c’est que Gabriel a grandi là, d’où cette maison qu’il investit avec bonheur, que ses parents se sont séparés là aussi. Et que sa mère, Johanna, vit encore ici…
Pour son sixième film, Mia Hansen-Løve explore un continent mal connu de la fiction, celui des reporters de guerre. Après L’Avenir, magnifique portrait de femme mûre aux prises avec une liberté nouvelle, elle regarde cette fois un homme jeune, la trentaine, aux prises avec une liberté aussi espérée qu’inespérée. Porté par Roman Kolinka, vu dans Après Mai d’Olivier Assayas et déjà présent dans les deux derniers films de la réalisatrice, mais ici étonnant dans son premier grand rôle, le film est comme envoûté par sa beauté opaque et ses silences. Ce personnage, qui aurait dû mourir et peut désormais vivre, est comme un fantôme pris dans les limbes. La mise en scène le capte marchant comme on flotte dans les rues de Goa, dans les trains pour Mumbai. Autour de lui, le monde, la vie, le bruit, la couleur. Il semble toujours un peu immobile même s’il se meut. Et puis petit à petit, il s’émeut.
Face à Maya (délicate et explosive Aarshi Banerjee), une lumière se rallume dans ses yeux. Maya lui rappelle sans doute sa propre jeunesse pas si lointaine, une manière de cosmopolitisme, une soif de l’aventure, et, tout simplement, l’amour. Jamais décorative, même si très dépaysante, l’Inde est filmée à hauteur d’homme et de femme, dans un partage, pas dans une posture. Car Gabriel a appartenu à ce pays, comme Maya qui, par ailleurs, étudie en Angleterre. Tous deux sont d’ici et d’ailleurs. Et lui, douloureusement, à mille lieues des clichés de la fiction et du romantisme, retrouve le chemin de sa propre existence. Sa raison d’être.