Matthias & Maxime
Dans Matthias & Maxime, Xavier Dolan, scénariste, réalisateur, monteur, interprète aussi le rôle de Max. Mais son huitième long-métrage revient à la forme de ses débuts. Plus simple, plus modeste, plus touchant aussi…
Un dessin d’enfant, deux amis à 7 ans. Inséparables. Et plus de vingt ans plus tard, l’un qui part en Australie, l’autre qui reste. Une séparation, une déchirure. Amour, amitié… La frontière entre les deux est si ténue. Si difficile à franchir, pourtant, pour Matt qui n’arrive pas à s’avouer son trouble vis-à-vis de Max. Son désir aussi, depuis que la sœur d’un de leurs amis leur a demandé de s’embrasser sur la bouche pour les besoins d’un court-métrage…
Xavier Dolan, qui interprète lui-même Max, semble revenir à ses débuts, avec ce film sur l’adieu. À l’enfance. À la bande de potes aux immuables blagues. À la lourdeur familiale aussi… Il le fait avec quelques afféteries, ralentis, accélérés, répétitions. Mais avec une fraîcheur retrouvée. Quelque chose de juvénile et de touchant émaille les scènes de groupe, tous ces moments arrachés au temps qui passe, aux responsabilités qu’il faudra prendre bientôt, à tout ce qui va vous projeter dans l’âge adulte : le boulot, les conjoints, la distance géographique.
Tous les acteurs, amis dans la vie et pour la plupart débutant à l’écran, sont épatants, sur le fil de l’adolescence prolongée, mi-enfants mi-hommes. Gabriel D’Almeida Freitas interprète Matthias avec un mélange de colère et d’âpreté qui en fait, semble-t-il, le plus adulte de tous. Et Pier-Luc Funk, Samuel Gautier, Adib Alkhalidey jouent avec conviction le chœur des potes, le « gang », dont on sent la préséance des liens bien en amont des premières images du film.
Et puis il y a Xavier Dolan, en Maxime. Sur la peau de son personnage sont disséminés les tatouages qui appartiennent à Dolan dans la vraie vie. Mais, sur sa joue, il a ajouté une « tache de vin » envahissant la moitié droite de son beau visage.
Si les tatouages de Max se lisent comme des choix, des décisions qu’il a prises au fil de sa vie, cette marque lui a été imposée depuis sa naissance. Elle fait partie de lui et apporte au spectateur, qui le découvre à 28 ou 29 ans sans rien connaître de son passé, la certitude que Max a toujours souffert de cette particularité : elle a fait de lui un enfant sans doute raillé par ses congénères dans la cour de l’école, ostracisé par sa mère, qui lui préfère son frère sans raison explicite. Cette tache l’a forcément obligé à s’imposer face aux autres (je suis comme ça, et alors ?) et l’a, peut-être, rendu plus fragile dans ses désirs amoureux (qui voudrait de moi comme ça ?).
On sent aussi, au sein de ce groupe d’amis et de leurs familles accueillantes, que cette anomalie vasculaire est une chose dont personne, en aucun cas, ne parle. Parce que, pour tous ceux qui l’aiment, Max, doux, gentil, rigolo, fidèle, n’est pas réductible à cette différence. Alors, quand Matt, dans sa colère, lui balance un cruel « Ta gueule, la tache ! », le flottement qui s’ensuit est à l’aune de la violence inadmissible et réprouvée par tous. Max, face au miroir de la salle de bains, met la main sur sa joue et lorsqu’il la retire, la tache a disparu, illusion d’optique, espoir si souvent nourri par lui, vœu jamais exaucé. Car, à nouveau, la tache apparaît dans le reflet. Indélébile. Force et faiblesse ontologiques, qui installent Max vis-à-vis de Matt comme le personnage le plus à même d’accueillir les sentiments nouveaux et bouleversants que leur baiser pour rire a provoqués en eux. Fragile, fiévreux, bouleversant, Dolan, malgré son omniprésence du scénario au montage, en passant par l’interprétation principale, apporte au film sa douleur et sa vérité.