Cannes 2018 : Rencontre avec Martin Scorsese
C’était l’un des temps forts annoncés de cette édition : l’hommage rendu par la Société des Réalisateurs de Films à Martin Scorsese qui a reçu hier soir Le Carosse d’Or sur la scène de la Quinzaine, après avoir été très intelligemment questionné sur son travail, en public, par Rebecca Zlotowski, Jacques Audiard, Cédric Klapisch et Bertrand Bonello. Florilège.
Selon son propre aveu, son « stressomètre » est à son paroxysme quand elle arrive sur scène aux côtés du réalisateur de Taxi Driver. Rebecca Zlotowski, de son élégante voix timbrée, accueille le cinéaste, après avoir évoqué avec lui en coulisses, précise-t-elle, les bienfaits de la méditation. Deux heures durant, les quatre auteurs-réalisateurs français ont interrogé Martin Scorsese lors d’une rencontre aux allures de passionnante leçon de cinéma.
Juste avant cet échange, la salle de la Quinzaine projetait Mean Streets, son troisième long-métrage (après Who’s That Knocking At My Door et Bertha Boxcar) traversé par la question lancinante chez Scorsese de la rédemption. Jacques Audiard ouvre le bal : « Que vous a appris ce film ? ». Scorsese : « Mean Streets faisait écho à l’environnement de ma propre enfance qui fut peuplée de gens durs et de gens bien, les deux aspects étant présents chez les humains. La question était comment mener une vie juste dans un monde qui ne l’est pas ? ». Comme en écho, il dira, un peu plus tard : « La vraie question est : qui arrive à réparer ses fautes et qui n’y arrive pas ? Jusqu’à mon dernier film, Silence, je pose la question de l’espoir du salut de l’autre. ».
Martin Scorsese est aussi revenu sur l’origine de sa passion pour le 7e Art et l’influence capitale d’un prêtre : « C’était un enseignant de la rue. Entre 11 et 19 ans , il m’a instruit, m’a fait aimer les westerns et m’a éveillé à l’Art. Cet homme a eu une grande influence sur les enfants de son quartier, il les a fait réfléchir sur la question de la moralité et du bien. » Autres figures tutélaires : Elia Kazan et John Cassavetes, dont les films l’ont beaucoup influencé à l’âge de 14-15 ans.
Les questions suivantes entraînent Scorsese sur sa façon de préparer ses films. Bertrand Bonello :
Quel est son rapport au hasard ? « On fait aussi du cinéma pour l’imprévu », déclare Scorsese. « Are you talking to me dans Taxi Driver est un bon accident, par exemple, car j’ai fait répéter De Niro sur le plateau, ce qui n’était pas écrit ». La salle rit, scène iconique oblige.
Bertrand Bonello : « La vitesse semble vous obséder depuis vos courts-métrages. Serait-ce lié à la peur du vide? ». « C’est plutôt une exploration des limites, répond Scorsese. Je suis fasciné par l’ouverture de Jules et Jim de Truffaut : comment traiter de la relation amoureuse et de l’art en enchaînant les plans ? Cette séquence est très inspirante pour moi ».
A l’essentielle question « Pourquoi filmez-vous ? », Scorsese répond avec simplicité : « Pour partager des ressentis, des impressions, des pensées. En espérant que dans la salle des gens se sentent concernés. ».
L’échange se clôt sur une très belle question de Rebecca Zlotowski sur le rapport de Scorsese à la disparition, lui qui participe à la restauration de films du patrimoine. « Adolescent, le cinéma m’a marqué à vie. Cette expérience était proche pour moi d’une expérience religieuse, spirituelle, transcendantale et cathartique. J’ai vu Ordet de Dreyer une fois, ce film m’accompagne encore aujourd’hui. Si on peut agir sur la disparition, faisons-le, tant qu’on est encore en vie », répond-il, avant de raconter que ses petits enfants réagissent avec beaucoup de ferveur à L’Aurore de Murnau. Martin Scorsese ou la cinéphilie incarnée.