Filmer le Chili, LA femme et les résonances du passé. Tel est le terreau fertile de Marcela Said avec son deuxième long-métrage de fiction. Une fresque intime, aux ramifications souterraines tortueuses. Lancé en mai à la Semaine de la Critique, le film arrive enfin sur les écrans.
Mariana vit confortablement, entourée de son mari, de son père et de sa classe aisée chilienne. Proche du paternel imposant, qui l’a élevée seule, elle subit insidieusement la domination patriarcale et machiste, et encaisse ses injections pour tomber enceinte et perpétuer la race. Mais son intérêt, puis son désir, pour son prof d’équitation, ancien colonel sous Pinochet, remue soudain une vase que son entourage aimerait garder sous le tapis. Passionnée par son Chili originel, Marcela Said continue de visiter le mille-feuille de la mémoire nationale dans lequel elle a grandi, en l’enrichissant de portraits au présent, quatre ans après L’Été des poissons volants. Son héroïne, riche création, n’attire pas forcément la sympathie, comme tous les autres personnages. L’empathie n’est pas la porte d’entrée ici. C’est la force du destin, et la description de la place de la femme dans la société chilienne qui priment.
Une figure féminine entourée d’hommes, qui semblent veiller sur ses actes comme une meute de chiens, fussent-ils en contradiction les uns avec les autres. Los Perros justement, Les Chiens, est le titre original, bien plus fort que sa version française, du simple prénom de sa protagoniste encerclée, qui révèle et fait bouger les lignes, mais jusqu’où ? La cinéaste ne donne pas de leçons, ne tire pas de morale. Elle questionne, elle met en lumière, elle pose son regard et force celui des autres. Poil à gratter pour la société chilienne, dont la classe bourgeoise toujours en place a prospéré grâce à la politique dictatoriale et à ses exactions. Le colonel, comme des milliers d’autres, a exécuté les ordres et désirs venus des ombres protégées. La peur ne vient pas toujours de là où elle semble être logée.
Avec une mise en scène ample et serrée à la fois, sur les visages d’interprètes jouant de l’intériorité intense, Marcela Said tient son œuvre avec poigne, tout en laissant respirer par les corps qui exultent, quand la pression s’est faite trop forte. Par les aboiements des canidés. Par les sorties à cheval et en pleine nature. Elle réussit à instaurer une menace continue, qu’Antonia Zegers et Alfredo Castro exacerbent avec une détermination sourde. Si la première, vue cette année dans Plus jamais seul d’Alex Anwandter et Une femme fantastique de Sebastian Lelio, éclate de fulgurance par son aplomb, le second livre une nouvelle incarnation magnétique d’ambiguïté, après Tony Manero et El Club de Pablo Larrain, ou Les Amants de Caracas de Lorenzo Vigas. Toutes et tous au service d’un romanesque sec et passionnant