Mano de obra

Les invisibles

Une excellente découverte venue du Mexique. Récit singulier et métaphore des désastres de l’esclavagisme contemporain. Et un auteur à retenir : David Zonana.

Déterminisme implacable. Pour son premier long-métrage, le réalisateur mexicain David Zonana tend un miroir confondant à son pays, où le profit sauvage domine. Manipulation et corruption gangrènent les rapports humains, de classe et de travail. Les ouvriers d’une villa de luxe en font ici les frais. La fameuse main d’œuvre, annoncée par le titre. Aucun scrupule, pour le propriétaire, de tirer sur le fil de la radinerie, de l’abus et de l’ignominie. La machine s’enraye avec la mort inaugurale d’un de ceux qu’il considère avec distance comme un invisible interchangeable du chantier. Le frère de la victime, Francisco, également ouvrier, va progressivement mettre en place une vengeance froide. Une réaction de survie face à l’accumulation des coups subis. Le fantasme d’un renversement et d’une équité justicière. Mais tout n’est pas simple quand on reconstruit le monde.



Ingénieuse idée d’utiliser ladite maison comme enjeu des forces contraires, et comme espace de la réappropriation. Forteresse inatteignable, Tour de Babel, ses murs, baies vitrées, jardins et terrasses cristallisent tous les rêves d’un monde meilleur. La construction narrative du cinéaste est elle aussi riche, tendue, comme une boucle sans appel, qui va de l’intérieur à l’extérieur de la demeure. Qui va aussi d’un drame à un autre. Constat amer, mais le voyage est passionnant. Grâce au fil rouge Francisco, corps au labeur qui se rebelle, et qui a les traits de l’excellent Luis Alberti, seul acteur professionnel, vu en France dans Que Viva Eisenstein ! de Peter Greenaway et Luciérnagas de Bani Khoshnoudi, et ici face à de formidables comparses, qui pour beaucoup rejouent leur quotidien.



Voyage passionnant enfin par la mise en scène de cet autodidacte, formé à la production chez son compatriote Michel Franco, réalisateur (Después de Lucía, Chronic, Les Filles d’Avril), et ici aussi producteur. Sa science du plan fixe, et des lents zooms et panoramiques, saisit au mieux les forces au cœur de l’image. La tension est palpable dans chaque recoin de la villa blanche, dans chaque rencontre et dans chaque altercation. La menace de l’écroulement veille, tapie derrière la satisfaction des semblants de victoire. Métaphore de l’inextinguible exploitation des moins bien lotis, et du retors effet boomerang du destin, Mano de obra s’avère un bel ouvrage, et la promesse d’un séduisant parcours, à suivre de près.