Neuvième long-métrage d’Emmanuel Mouret et le premier en costumes, Mademoiselle de Joncquières est une passionnante radiographie des amours assassines au XVIIIe siècle. Avec deux acteurs dont la modernité sert constamment le propos, éternel.
Un libertin notoire assaille de sa présence, de ses mots et de son charme une jeune veuve riche et retirée du monde. Plus elle résiste, plus il insiste. Elle cède à ses avances. Leur bonheur s’épanouira quelque temps. Et puis, l’ennui… Madame de la Pommeraye ayant ressenti le désamour du Marquis des Arcis, prétend alors être celle qui n’a plus de goût à leur idylle : pour connaître la vérité, et sembler triompher. La tête haute mais le cœur brisé, elle n’aura de cesse que de se venger. Et cette vengeance est machiavélique…
Mademoiselle de Joncquières est adapté d’un court récit de quelques pages dans Jacques le Fataliste et son maître de Diderot. Comme Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson. La comparaison s’arrêtera là, car Bresson avait plié l’intrigue à son temps (le milieu des années 1940), tandis que Mouret colle à celui de l’auteur, la fin du XVIIIe siècle.
Spécialiste des comédies très dialoguées riches en chassés-croisés (de Laissons Lucie faire à Caprice), Emmanuel Mouret ne s’est éloigné qu’une fois de sa zone de confort pour Une autre vie, mélodrame social avec Joey Starr, Jasmine Trinca et Virginie Ledoyen. Ce neuvième long-métrage est le premier en costumes, et s’il rejoint les films précédents par son étude minutieuse des comportements amoureux, la contrainte des décors et des costumes aurait pu être un obstacle. Bien au contraire ! La reconstitution, loin du magasin des accessoires poussiéreux de certaines productions, est une véritable plongée au cœur de l’époque. Les couleurs des robes, la verdure des jardins du château, les bouquets de fleurs fraîches à l’intérieur sont autant de traces lumineuses d’une fin de siècle, par ailleurs en pleine évolution. Tout est brillant ici, des dialogues à la façon machiavélique dont Madame de la Pommeraye, comme une morte qui marche, mène tout son petit monde de la clarté à l’ombre. Les taches noires des robes et des intérieurs se faisant de plus en plus nombreuses, personnifiant ses sombres desseins, envahissant peu à peu le cadre.
Cécile de France et Edouard Baer, acteurs d’aujourd’hui dont on aime la gouaille, sont parfaits dans ces personnages auxquels ils confèrent aisance et modernité. Ils dominent un casting remarquable qu’il faudrait citer entièrement, de Laure Calamy à Alice Isaaz. Mademoiselle de Joncquières est l’histoire d’un amour d’abord refusé, puis offert tout entier, qui se met à grignoter le personnage du marquis, comme il avait grignoté Madame de la Pommeraye. Démarré comme du Marivaux pour finir comme du Choderlos de Laclos (La Marquise de Merteuil, elle aussi, est une femme puissante, amoureuse et blessée qui se venge), le film se déploie en plans-séquences fluides. Tout en mouvement. Entre tourbillon gracieux et spirale infernale.