Dernier long-métrage de Sophie Fillières, cet hymne à la vie, ce coq-à-l’âne joyeux est aussi le portrait de nos peurs, de nos manques et de ce qu’il faut faire pour que la joie demeure.
Lorsqu’on envisage qu’un film est le dernier de son auteur, il s’agit de son dernier en date. Le huitième et ultime long-métrage de Sophie Fillières, morte à la fin des prises de vues, est celui qui date. Qui clôt, tout en l’ouvrant vers l’infini, une joyeuse ribambelle de longs- métrages aux titres originaux – Grande petite, Un chat un chat, Arrête ou je continue, La Belle et la Belle…- et au ton idoine.
Ma vie ma gueule s’inscrit dans la lignée de ces beaux portraits de femmes qui lui ressemblent et nous rassemblent. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Volontaristes, ingénieuses, perdues, emmerdeuses, les femmes de Sophie Fillières sont parfois frapadingues, souvent drôles, de temps à autre injustes, mais toujours vraies.
Ici, Barberie Bichette, c’est son improbable nom, est une poétesse à ses heures perdues qui travaille dans une agence de contenus. Barbie, c’est son improbable surnom, a une sœur, deux (grands) enfants, pas mal de vague à l’âme et parle souvent toute seule, quand elle ne parle pas à son psy. Alors qu’elle rencontre un homme qu’elle ne reconnaît pas et qui dit l’avoir bien connue jadis, elle le prend pour la mort personnifiée, et, prise de panique, se retrouve en hôpital psy.
Toujours sur un fil, Barbie ment parfois, mais s’emploie immédiatement à rétablir la vérité, et sa dépression réveille une solide envie de vivre, de partir, de devenir elle-même en mieux (on vous laisse la surprise !). C’est Agnès Jaoui, charnelle et évasive, drôle et sérieuse, qui l’incarne avec toute la force de sa fantaisie. Elle est grandiose ! Mais tout autour, les personnages de sa vie ou ceux qu’elle croise existent bel et bien, décontenancés parfois, mais vivants. Comme elle. Incarnés par des acteurs épatants venus d’horizons différents et ici à l’unisson de la folie ambiante : les enfants (Angelina Woreth et Édouard Sulpice), la sœur (Valérie Donzelli), l’homme du passé (Laurent Capelluto), des médecins (Emmanuel Salinger, Maxence Tual) et même Philippe Katherine, à moins que ce ne soit Katherine Philippe…
Solaire, malgré une mélancolie certaine, le film semble vagabonder au gré des humeurs, des tics et des tocs de son héroïne quinquagénaire. La postproduction a été effectuée par les propres enfants de Sophie Fillières (Adam et Agathe Bonitzer) à sa demande, avec une solide équipe technique et un monteur, François Quiqueré, qui a épousé les ruptures de ton, les changements météorologiques et les digressions de ce personnage fuyant parfois comme de l’eau entre les doigts. Ma vie ma gueule, qui pourrait être sous-titré : « Pourquoi faire semblant ? » selon l’interrogation que Barbie se fait à elle-même dès la première scène, est un bijou de film, qui vagabonde hors des sentiers battus pour mieux trouver son centre de gravité. Et de légèreté.
Isabelle Danel