La Lune de Jupiter est une œuvre dense et perçante sur les réalités sombres de l’Europe contemporaine et confirme l’indéniable talent de mise en scène de Kornél Mundruczó.
Le cinéaste Kornél Mundruczó, quarantenaire hongrois, également metteur en scène de théâtre et d’opéra, monte en puissance. Les aspects prétendument clinquants de son style s’affinent, tandis que l’auteur s’affirme de film en film au gré de sujets ambitieux et d’une direction d’acteur sans faille. Depuis quelques années, et pas seulement parce que cela se vérifie au fil de ses sélections cannoises (Prix FIPRESCI pour Delta en 2008, prix Un Certain Regard pour White God en 2014, La Lune de Jupiter en compétition cette année), il est entré progressivement dans le cercle restreint de metteurs en scène européens repérés par Hollywood, où il tourne actuellement avec l’acteur Bradley Cooper, une histoire de science-fiction.
La Lune de Jupiter s’apparente également au genre SF : Aryan est un migrant qui tente de traverser la frontière hongroise. Les forces de l’ordre lui tirent dessus ; or, par miracle, il s’échappe et lévite. Blessé et abandonné dans un camp de réfugiés, Aryan est soigné par le Dr Stern, seul réel témoin de ses nouveaux pouvoirs. Le médecin décide d’enlever le jeune homme afin de l’exploiter cyniquement…
Si le film confronte d’emblée le spectateur à la situation migratoire dramatique qui se déroule en ce moment en Europe, l’histoire prend vite la tangente d’un récit symbolique et miraculeux, enserré dans les bottes d’un thriller haletant. Mundruczó, qui n’est en rien léger sur le sort apocalyptique des réfugiés d’aujourd’hui, fonde son point de vue sur la glorification d’Aryan, un jeune migrant auquel il prête l’ensemble des stigmates chrétiens jusqu’au miracle de lévitation et qu’il dote de séduction hors du commun sur les mortels. L’incarnation messianique d’Aryan (le charmant et énigmatique Zsombor Jéger) lève un voile sur la confrontation des générations : le jeune homme au beau visage de sainteté bouscule ainsi le cartésianisme vieillissant du Docteur Stern (Merab Ninidze, impeccable) symbole d‘une vieille Europe aussi contrite qu’elle est devenue rance, tant l’argent joue le rôle de veau d’or.
Dans le trajet d’élévation de la conscience du Docteur Stern au contact d’Aryan, Mundruczó est suffisamment habile pour laisser planer le doute d’une sensualité élective qui rappelle indirectement la dimension tragique des vers de Platen que Luchino Visconti positionna en exergue de Mort à Venise : « Quiconque a de ses yeux contemplé la beauté est déjà livré à la mort ».
L’ensemble de ces sujets riches, traités avec beaucoup de sensibilité, englobant un delta assez large d’interprétations, est le produit d’un cinéaste et d’une scénariste hors pair (Kata Wéber, fidèle à Mundruczó) soutenus par la virtuosité d’images très impressionnantes. La pellicule 35mm est assimilée à la célérité d’effets spéciaux abondants mais parfaitement dosés, une qualité qui accentue parfaitement la crédibilité de l’histoire. Certains plans sont la démonstration que l’ensemble des prouesses techniques du moment répondent merveilleusement – surtout pour le don de voler – à cette notion convoitée de « rêve éveillé ». Enfin, ce serait un tort de minorer la puissance évocatrice de la partition musicale sombre et pénétrante du compositeur Jed Kurzel (Macbeth, Alien Covenant, Assassin’s Creed) tant elle parachève l’harmonie générale de La Lune de Jupiter, dont l’horizon funèbre, tendu, liturgique, surnaturel résulte d’une très grande réussite de mise en scène.