

Cent trente ans jour pour jour après le premier film Lumière tourné le 19 mars 1895, ce documentaire conte sur grand écran le cinéma inventé, déployé et éternel. Magique et bouleversant.
Jamais on ne les a vus comme ça, ces films Lumière. Et certains, d’ailleurs, issus du catalogue riche de 1428 films répertoriés n’ont jamais été montrés sur grand écran. Restaurés magnifiquement, dans un noir et blanc superbe, une lumière éclatante, des contrastes sidérants, ils nous embarquent dans le regard des frères Lumière (même si Auguste n’a tourné qu’un seul film, très beau au demeurant, que l’on voit ici), et de leurs opérateurs envoyés aux quatre coins du monde dès 1896. Baignés de la belle musique de Gabriel Fauré, contemporain des Lumière, les films parfois, comme cette attaque de cavalerie, bénéficient d’un silence étourdissant, merveilleux. Les films nous parviennent dans toute leur pureté et leur modernité, aussi parce qu’ils sont accompagnés du commentaire à la fois fluide et érudit, sérieux et badin, amoureux et acéré, de son réalisateur Thierry Frémaux (qui cosigne le montage avec Jonathan Cayssials et Simon Gémelli). Il pointe là un détail, ici un ratage, et cette voix, jamais encombrante, restitue à nos yeux le miracle intact de ces films si simples et si brillants.
Ce qu’ils nous montrent ? Leur temps. Leur époque. La vie même. Les travaux et les jours, les loisirs et les voyages, le sport et les armées, le music-hall… La façon dont la foule se presse au sortir d’une usine ou d’une église, le long d’un quai de gare ou au bout d’un port pour le lancement d’un gros bateau. La manière dont un petit garçon équilibriste ou simple danseur capte soudain, au milieu des autres, le regard de la caméra et du spectateur. Il y a aussi la naissance du premier gag, l’éternel « arroseur arrosé » qu’on connaît bien ; et une dispute homérique, qu’on connaît moins, autour d’une cuillère entre deux petites filles, dont l’une se met à pleurer. Et ces larmes nous bouleversent.
Mais la plupart de ces vues de 50 secondes prises en caméra fixe font naître à nos lèvres un sourire tenace. La sensation soudain de se retrouver comme neuf, face à ce cinéma des origines qui sait déjà tout faire, tout dire, tout embrasser. Ce qui se joue sur l’écran est vrai et beau. Les cadres sont splendides, la composition des plans est inouïe, le mouvement est partout dans un tramway, une malle-poste, une femme ramassant à la fourche des herbes, des marins tirant des filets de pêche vers le sable. C’est magique.
Il faudrait montrer Lumière, l’aventure continue aux jeunes spectateurs et aspirants metteurs en scène comme aux très vieux, car ce documentaire est de ceux qui font naître la flamme ou la raniment. Ces films du passé sont l’avenir du cinéma.
Nota bene : Restez jusqu’à la fin du générique pour voir un clin d’œil à l’ami Bertrand Tavernier.