Une histoire de vie et de mort, de famille et de fantômes, où, au cœur du drame le plus prosaïque, s’invitent la poésie et la magie.
Amparo, son fils Fabio et sa fille Nuria arrivent de nuit dans une île… « Je suis heureuse que vous soyiez en vie », leur dit en les enlaçant la vieille tante qui leur ouvre une maison de bois où ils posent leurs maigres bagages et s’installent. Fuyant le conflit armé en Colombie, cette famille pleure un mari et père ainsi qu’une fille et sœur, disparus tragiquement et dont les corps n’ont toujours pas été retrouvés. Amparo inscrit ses enfants à l’école, trouve un moyen de fabriquer elle-même les uniformes trop onéreux, cherche à faire reconnaître son statut de veuve (mais l’indemnité n’arrivera que si les corps sont retrouvés) et trouve un travail de force dans une poissonnerie…
Petit à petit, une étrangeté s’immisce dans les plans de cette ville lacustre aux maisons sur pilotis, fragiles, incomplètes mais respirant la beauté et la couleur… Nuria voit un homme, son père, qui l’embrasse et met un doigt sur sa bouche en guise d’injonction au silence. Mais à y bien réfléchir, Nuria n’a pas dit un mot depuis son arrivée ; observant le monde autour d’elle de ses grands yeux tristes, elle semble toujours à côté, et même, par moments, désinvestie par les siens. Comme dans cette scène où elle joue par terre avec des bouts de tissu tandis que la mère raconte à son fils la transmission de la couture qui lui a été faite par les femmes de la famille et qu’elle veut à son tour lui enseigner… Nuria pourtant se lie à une gamine de l’école, et c’est celle-ci qui lui révèle que dans l’île de la Fantasia, qui porte si bien son nom, dans cette zone neutre entre la Colombie, le Brésil et le Pérou qui accueille sans cesse des « déplacés », des fuyards et des réfugiés venus de toutes parts, il y a des fantômes…
Deuxième fiction de la brésilienne Beatriz Seigner, Los Silencios prend sa source dans le documentaire et glisse nonchalamment vers le fantastique comme les longues barques de bois sur le fleuve Amazone. La douleur inextinguible, le rapport aux conflits armés qui laisse les familles inconsolables et meurtries, n’empêchent pas le film de dégager peu à peu une douceur étonnante. Un sentiment de paix qui nous gagne à mesure qu’il envahit ces hommes et ces femmes n’aspirant qu’à accepter la mort pour mieux retourner à la vie. L’apparente simplicité de la mise en scène, d’où émergent quelques idées lumineuses (on pourrait dire fluorescentes !) que nous ne dévoilerons pas ici, fait de Los Silencios une œuvre à la force tenace. Sur les mouvements humains éternels et les frontières incertaines.