Lingui, les liens sacrés
Une femme tente de sauver sa fille du sort qui semble lui être réservé : devenir, comme elle, une fille mère et une paria dans une région campagnarde du Tchad où l’imam veille à faire appliquer la loi musulmane. En compétition au Festival de Cannes.
Amina vit avec sa fille de quinze ans, Maria, dans la banlieue de N’Djamena. Son univers s’effondre quand elle apprend que l’adolescente est enceinte. Amina a, en effet, vécu la même situation quinze ans plus tôt, avant d’être mise au ban de sa famille. Elle va alors tenter d’aider sa fille à avorter, dans un pays où cet acte est interdit. De retour en compétition à Cannes huit ans après Grigris, Mahamat-Saleh Haroun poursuit une œuvre cohérente, qui emprunte les codes du film noir pour dresser un portrait à la fois social et politique du Tchad contemporain. Si son regard lucide et sans concession interpelle, on accroche un peu moins à son scénario, qui n’évite pas certains rebondissements un peu faciles. Mais sa direction d’acteurs (dont son impeccable comédien fétiche, Youssouf Djaoro, dans un rôle pivot) et son talent pour croquer en quelques plans un récit et des personnages, convainquent toujours.
François-Xavier Taboni
Amina passe de sa cour et du travail harassant consistant à dépecer d’énormes pneus pour en tirer des armatures métalliques qui deviennent sous ses coups de marteau des paniers tressés, à la rue, où parée d’un sari orange vif, la tête couverte, elle vend ces objets usuels. Entre dedans et dehors, il y a un monde. Ce monde, Mahamat-Saleh Haroun le déploie en plans très composés, intimité d’une maison modeste mais accueillante où des voiles turquoises flottent autour des fenêtres, où un chien facétieux et un chaton joueur s’ébrouent, tandis qu’à l’extérieur s’élèvent le brouhaha d’une ville de poussières à la circulation incessante et les murs de boue sèche tous semblables du village. Au centre de Lingui, la place des femmes, et leur combat souterrain contre le pouvoir des hommes. Interdiction de l’avortement, obligation de l’excision, viols… Il y a de quoi se lever et se battre. Ce qui naît sous nos yeux, d’une solidarité féminine spontanée contre des traductions séculaires, de gestes de sororité immédiate, donne au film sa raison d’être. Constat et message qui force un peu le trait mais n’oublie pas de filmer le visage déterminé de cette combattante du quotidien qu’est Amina, interprétée par une étonnante personnalité, versatile et troublante, qu’on verrait bien en prix d’interprétation féminine, Achouackh Abakar.
Isabelle Danel