Fille mère et paria, Amina se bat pour éviter à sa progéniture le même sort. Malgré quelques facilités de scénario et une interprétation inégale, ce film dossier au sujet brûlant et aux couleurs enivrantes conte avec courage le quotidien des femmes d’aujourd’hui, au Tchad.
Amina passe de sa cour et du travail harassant consistant à dépecer d’énormes pneus pour en tirer des armatures métalliques, qui deviennent sous ses coups de marteau des paniers tressés, à la rue, où, parée d’un sari orange vif, la tête couverte, elle vend ces objets usuels. Entre dedans et dehors, il y a un monde. Ce monde, Mahamat-Saleh Haroun le déploie en plans très composés, rehaussés par la lumière de son chef-opérateur Mathieu Giombini.
Le réalisateur d’Un homme qui crie et Grigris tresse en images lumineuses l’intimité feutrée d’une maison modeste mais accueillante, où des voiles turquoise flottent autour des fenêtres, où un chien facétieux et un chaton joueur s’ébrouent ; tandis qu’à l’extérieur, au-delà des murs de boue sèche tous semblables de ce faubourg de N’Djamena, s’élève le brouhaha d’une ville de poussière, à la circulation incessante. Chez Amina, fille mère, devenue paria dans sa famille, il y a Maria, 15 ans, enceinte d’on ne sait qui, virée du collège, et qui veut avorter. Même si c’est interdit par la religion musulmane et par la loi. Alors, il n’y a d’autre choix que de sortir… Dès le premier plan, on est happé par le visage déterminé de cette combattante du quotidien qu’est Amina, interprétée par une étonnante personnalité, versatile et troublante : Achouackh Abakar. Elle marche, court, saute à l’arrière d’un camion ou d’une moto, prend des autobus, et ne cesse de parcourir cette terre en tous sens. Et au fur et à mesure, elle redresse la tête, retrouve sa fierté et son sourire. Comme elle fume désormais au vu et au su de tous, comme elle danse en pleine nuit au milieu de sa cour, Amina a décidé de ne plus se cacher. De ne plus avoir honte.
Au centre de Lingui, il y a la place des femmes, et leur combat souterrain contre le pouvoir des hommes. Il y a de quoi se lever et se battre : interdiction de l’avortement, obligation de l’excision, viols… sans parler de la prière à la mosquée qu’elles font dehors, tandis que les hommes sont dedans. Les hommes, on n’en voit quasiment que deux : un imam intrusif et un voisin entreprenant. Ce qui naît sous nos yeux, d’une solidarité féminine spontanée contre des traditions séculaires, de gestes de sororité immédiate, donne au film sa raison d’être. Constat et message qui force un peu le trait, se perd parfois dans des échanges hasardeux, où tous les comédiens ne sont pas à la hauteur, mais parvient à maintenir le fil, les liens sacrés (les « lingui » du titre) qui se tissent, tacites et beaux, entre ces femmes prêtes à devenir une armée. Pacifiste (quoique…), volontaire et tenace.
Isabelle Danel