Neuvième joujou signé Wes Anderson, et nouveau plaisir total. La maestria technique et formelle se double d’une histoire inédite et savoureuse. L’amour du Japon transpire. Celui des canidés aussi. Une malle au trésor tordante et émouvante qui ravit les mirettes.
Roi de la minutie, Wes Anderson atteint le comble de son art avec son neuvième opus. C’est aussi, après le savoureux Fantastic Mr. Fox, son second film en animation en volume, alias « stop motion ». Un travail de titan fourmilier qui lui a valu en février l’Ours d’argent de la mise en scène à la 68e Berlinale. Récompense animalière amplement méritée pour cet homme à la créativité dingue, qui s’attaque aux canidés, après les renards de Roald Dahl. Il est parti cette fois d’un scénario original, concocté avec ses fidèles comparses Roman Coppola et Jason Schwartzman, ainsi qu’avec le journaliste animateur touche-à-tout Kunichi Nomura, également réquisitionné vocalement en Maire Kobayashi. Le mélange de l’amour du cinéma nippon, de la culture japonaise, et des chiens, a débouché sur une nouvelle aventure de « ouf ».
Mille marionnettes sur cinq échelles différentes, deux-cent quarante décors : les chiffres sont pharaoniques pour cette épopée en miniature. Anderson est un auteur qui aime repousser ses propres limites, et qui a voulu placer la barre encore plus haut, après son premier essai en animation. Tout est plus vaste, inédit, ici. Plusieurs années de périple donc, pour arriver à cent minutes d’un ballet réjouissant, où le sens du cadre, de la composition du plan, propulse la prouesse technique dans une dimension poétique. Car la rigueur du forcené et de l’obsédé du détail qu’est Anderson (la confection des sushis devait être par exemple conforme au grain de riz près dans la séquence idoine), n’empêche pas l’émotion.
La portée humaniste de cette histoire de dépotoir à chiens virussés, métaphore d’un monde qui stigmatise et rejette tout ce qui ne rentre pas dans la norme, est immense. Mais plus qu’un plaidoyer politique, L’Île aux chiens atteint la fable, et reste un plaisir de cinéma pur. L’art du montage et de la scénographie confère aux cabots une humanité puissante, qui perce de leur flegme et de leurs poils confectionnés en chutes de laine. Le geste artistique atteint parfois la finesse du trait du dessin. Et l’ampleur gagne avec la méticulosité sonore et musicale, des accords de tambour et de cuivres d’Alexandre Desplat aux sons de groupe de rock psyché.
Et que dire du casting vocal ? Aussi subtil dans l’excellence de la version originale anglophone et nippone que dans le choix des interprètes de la version francophone, Anderson offre un feu d’artifice de vedettes et de mémoire du 7e art, qui fondent leurs timbres connus et parfois identifiables illico dans la bouche de leur rôle animé. Les gammes caressent et grattent l’oreille, et accompagnent le spectateur ravi tout le long de ce chant d’opiniâtreté et de réappropriation salvatrice.