À travers la description de femmes en vacances, Clara Roquet raconte avec finesse la mutation d’un monde dominé par les classes et la révolution intérieure. Une nouvelle découverte de la Semaine de la Critique cannoise.
Les étés adolescents sont des moments de vie intense, qui marquent souvent les destins à jamais. Des concentrés d’apprentissage, révolutionnant les habitudes et les certitudes. Des semaines de transition inattendue, entre la fin de l’enfance et les prémices de l’âge adulte. C’est ce que vit Nora, quinze ans, lorsque Libertad déboule dans son existence. La première est la fille de famille occupant une belle demeure de villégiature en bord de mer, sur la Costa Brava catalane. La seconde est la fille de la bonne colombienne, Rosana. Cette dernière est aux petits soins des femmes de la villa menée par Teresa, et dominée par la grand-mère vieillissante, Angela. C’est dans le microcosme de ce petit monde féminin, qui fonctionne très bien sans hommes, que le regard de Nora change. Au contact de la nouvelle venue, la prise de conscience surgit, sur ses proches, sur son milieu social, sur ses privilèges, sur le déterminisme. La rébellion est dans l’air…
La jeune cinéaste Clara Roquet signe avec Libertad un premier long-métrage au charme progressif, comme un doux enchantement. Lentement, mais sûrement, son film – avec un titre-manifeste signifiant Liberté – déploie la richesse de son propos à travers sa mise en scène assurée et sans esbroufe. L’auteure s’est fait la main comme scénariste pour Carlos Marques-Marcet (10.000 km) ou Jaime Rosales (Petra), et comme réalisatrice de courts-métrages, avec notamment El Adiós (2015), galop d’essai et première collaboration avec des interprètes non professionnels. Elle approfondit sa représentation à l’écran des femmes venues d’Amérique latine en Espagne, laissant leurs proches au pays pour leur offrir de meilleurs revenus en allant s’occuper des plus nantis dans la péninsule ibérique. L’œuvre décrit ainsi un système de classes et d’exploitation, où chacun et chacune tente de préserver ses intérêts, mais que les benjamines remettent en cause.
Avec ses cadres posés et ses mouvements de caméra minutieux, de gestes quotidiens en premières fois, le film capte le changement en cours. Celui de destins soumis au temps qui passe, à la perte de l’insouciance, à la disparition annoncée de l’aînée, à la fin de l’été, à la séparation. L’alchimie prend sur l’écran entre les actrices aguerries et les novices, incarnant cet univers en mutation. L’aplomb des jeunes Maria Morera et Nicolle Garcia confère aux enjeux une grâce mêlée de sensualité. Depuis sa révélation à la Semaine de la Critique à Cannes, ce premier long voyage et séduit, jusqu’à son beau doublé récent aux Goyas : meilleure nouvelle réalisation, et meilleure actrice dans un second rôle pour Nora Navas (Pain noir, Citoyen d’honneur, Douleur & Gloire). Les réalisatrices continuent d’éclore dans tous les pays. Leurs regards nous abreuvent d’intensité réinventée. Clara Roquet en est une nouvelle preuve éclatante.
Olivier Pélisson