Leto

Leninrock

Assigné à résidence à Moscou depuis plus d’un an, le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov brille grâce à son art avec la sortie de son bijou Leto, lancé à Cannes en mai dernier. Un éloge de la force. Celle de l’élan libertaire, celle de l’amour, celle de la musique. Brio total.

Leto est une œuvre à la fois discrète et puissante. Chronique historique, histoire d’amour à trois, biopic sur des figures du rock russe, ode à la liberté. L’action se déroule dans le Léningrad (ex et future Saint-Pétersbourg) du début des années 80. La scène rock’n’roll soviétique est alors en plein essor, nourrie des idoles et groupes anglais et américains. Serebrennikov a reconstitué la rencontre des deux leaders Viktor Tsoi du groupe Kino, et Mike Naumenko du groupe Zoopark, disparus tous deux prématurément à 28 et 36 ans en 1990 et 1991. Au milieu d’eux, la magnétique Natacha. Autour d’eux, des dizaines, des centaines, des milliers d’âmes, aspirant à l’air libre dans l’étau soviétique de l’avant Pérestroïka.

Dans un noir et blanc doux et riche de reliefs, œuvre du directeur de la photo Vladislav Opeliants, le cinéaste témoigne des combats de ses ainés, et des parallèles avec sa Russie actuelle oppressante. Mais le film n’est pas qu’un cri, qu’une révolte. C’est aussi un chant de passion, via ses figures énergisantes, qu’elles soient iconiques pour certains ou pas (encore) pour d’autres. Le réalisme et les empêchements explosent par la grâce du regard sur les êtres, par l’humour qui dynamite la rigueur politique, par la fluidité de la mise en scène…

… Et par des scènes musicales oniriques épatantes, où les héros, auxquels se joint le peuple dans le train, le bus, la rue et un immeuble, chantent, dansent, courent, traversent, et défient les lois, au son des icônes rock des années 70. Et où la couleur injecte le sang neuf de l’espoir. Les excellents Teo Yoo, Irina Starshenbaum et Roman Bilyk rivalisent de charisme, dans cette chronique à la virtuosité dingue, qui gagne les écrans alors que son auteur est toujours sous le coup du joug étatique de son pays, près de quarante ans après l’époque qu’il dépeint…