Entre tragédie et documentaire, thriller survivaliste et western, le premier long-métrage de Guillaume Renusson plonge dans le réel des migrants et touche au cœur.
Le film s’ouvre sur des images comme on en voit aux informations, à la télévision. Des réfugiés, des migrants. Puis l’écran s’agrandit, la fiction s’installe : des policiers font irruption en pleine nuit là où dorment des hommes et des femmes sans papiers, qui n’ont d’autre choix que de s’échapper s’ils y parviennent. Dans le même temps, un homme blessé aux yeux désespérément tristes laisse sa fille à son frère et prend le bus. À la frontière italienne, il regarde sans les voir, à travers les vitres, des hommes, noirs pour la plupart, malmenés, plaqués au sol et menottés. Samuel retourne au chalet familial, qui regorge de souvenirs de sa vie d’avant. Quand son épouse était encore vivante. C’est là qu’une jeune femme afghane frigorifiée vient se cacher pour se réchauffer.
« Parce que tu as besoin d’aide… », répondra bien plus tard Samuel à Chehreh lorsque celle-ci lui demandera pourquoi il la guide à travers les montagnes, alors qu’ils sont poursuivis par trois nationalistes et leur chien. Pour raconter le réel des migrants, les sept cercles de l’enfer qu’il leur faut traverser, Guillaume Renusson emprunte plusieurs genres, du drame intime au thriller survivaliste en passant par le western dans la neige. Au cœur des Survivants, il y a le portrait de deux endeuillés, l’un aspirant à mourir, l’autre résolue à vivre. Leur rencontre changeant forcément leur vision du monde et des êtres. Poursuivis comme du vulgaire gibier dans ces Chasses du Comte Zaroff nouvelle manière, ces deux-là se heurtent au racisme, à la violence ordinaire de ceux qui disent : « On est chez nous », et envisagent ce mantra comme un permis de tuer.
Le film, avare de mots, distille de grandes plages de silence mises en musique par Rob (La Fracture, 2021 ; Les Enfants des autres, 2022) et accompagnant les images saisissantes de deux corps luttant dans la neige pour avancer et passer de l’autre côté. Ces corps, ces âmes, Chehreh et Samuel, ce sont deux acteurs impressionnants, dont le souffle et les yeux en disent bien plus long que tous les discours. Zar Amir Ebrahimi (prix d’interprétation à Cannes en 2022 pour Les Nuits de Mashhad), à la fois ancrée et inquiète, sans cesse en mouvement, incarne dans sa chair la douleur de l’exil, car cette actrice iranienne, ayant fui la censure et les menaces d’emprisonnement dans son pays, vit en France depuis la fin des années 2000. Sa force inouïe transperce l’écran, et, lorsque son personnage parle de son passé, pourtant perdu, son visage s’illumine comme pour dire la rémanence de la beauté. Denis Ménochet (après le sans faute de 2022 : Peter Von Kant de François Ozon et As bestas de Rodrigo Sorogoyen) bouscule sa grande carcasse fracassée de l’intérieur ; il porte en lui l’ambivalence de cette enveloppe de titan cachant un cœur brisé. Lorsqu’il pose sa grosse main sur le corps tremblant de sa partenaire, pour la réchauffer au cours d’un plan-séquence de treize minutes, les larmes nous montent aux yeux. Le tour de force du tournage en pleine montagne ne s’impose jamais devant l’histoire. Les Survivants respecte l’intelligence du spectateur et jamais le fond ne prend le pas sur la forme. Pourtant, ce que dit ce beau film haletant, c’est qu’en aidant quelqu’un, parce qu’il le faut, parce que c’est indiscutable, il n’est pas impossible que cette personne vous sauve la vie.