Les Sept Samouraïs

Un classique mythologique

Dans le Japon médiéval, des paysans, attaqués par des brigands, font appel à des mercenaires pour en être délivrés. Akira Kurosawa, en 1954, livre un film profond et spectaculaire, qui imposera définitivement le cinéma nippon sur le plan international.

Les Sept Samourais était un projet auquel tenait beaucoup Akira Kurosawa. Mais il dut attendre pour pouvoir le réaliser. Une fois le Japon vaincu, le gouvernement d’occupation américain avait décidé de limiter la production des films dits jidai-geki, qui traitent du passé historique national. Il reprochait surtout aux films de samouraïs de mettre en valeur le code d’honneur de ces combattants, le bushido, associé, à leurs yeux, au nationalisme japonais et au fanatisme des kamikazes. C’est pour cette raison que le quatrième film de Kurosawa, qui relevait de ce genre, Les hommes qui marchent sur la queue du tigre, tourné en août-septembre 1945, avait été interdit de sortie (il ne sera montré qu’en 1952). Le cinéaste parvint toutefois à en réaliser un autre en 1950, Rashōmon, car son récit pirandellien en atténuait l’appartenance au genre. Mais il dut revenir à l’autre grande tradition de films populaires, les gendai-geki (films dont l’intrigue se déroule dans le monde contemporain), et réalisa successivement deux de ses œuvres maîtresses, L’Idiot (1951), d’après le roman de Dostoïevski, et Vivre (1952). Des films pour lesquels on lui reprocha d’être trop critique à l’égard du Japon moderne. Il rebondit en profitant de la fin de l’occupation militaire du Japon, levée en 1952, pour enfin renouer avec un pur jidai-geki. Il mit donc en chantier ce film auquel il tenait beaucoup, Shichinin no samurai, dont il écrivit le scénario avec Shinobu Hashimoto et Hideo Oguni.
Le film raconte l’histoire, en 1586, de paysans d’un petit village japonais, qui, las d’être constamment attaqués par des brigands, se résolvent à demander l’aide de samouraïs. Quatre villageois réussissent difficilement à en recruter sept, dont un jeune paysan hardi et farfelu, qui tous acceptent de n’être rémunérés qu’avec de la nourriture. Une fois sur place, les mercenaires apprennent à leurs employeurs à se battre et à fortifier leur village. Les escarmouches se multiplient, puis une bataille d’une extrême violence s’engage sous une pluie torrentielle, qui voit la défaite des brigands, mais aussi la mort de quatre samouraïs. La paix retrouvée, les paysans retournent à leurs champs avec courage et sérénité. Les mercenaires, quant à eux, s’en vont, mais, à la vue des tombes de leurs camarades, leur chef se rend compte que les vrais vainqueurs de ce combat sont les paysans, « pas nous », dit-il, avec tristesse et lucidité.

Les 7 samouraïs (photo de tournage) - Copyright : TohoCo,.Ltd

Un résumé de l’intrigue qui évacue un très grand nombre de petites scènes montrant le quotidien des villageois, les multiples péripéties entraînées par l’arrivée des mercenaires, les diverses stratégies de défense et attaque mises au point par ces derniers. Une multitude de petites scènes qui obligèrent Kurosawa à tourner pendant un an, au lieu des trois mois initialement prévus par la société de production Tōhō. Celle-ci lui reprocha de gâcher de la pellicule, car il utilisait trois caméras, afin de couvrir le plus d’angles possibles et d’obtenir ainsi un réalisme saisissant. Le tournage fut interrompu à plusieurs occasions, entre autres à cause d’une météo déplorable et du refus systématique du cinéaste de renoncer aux extérieurs réels. Le budget explosa, devenant le plus cher de l’histoire de la Tōhō (cent millions de yens). D’une durée initiale de trois heures et vingt-sept minutes, le film, en 1954, est présenté dans une version déjà tronquée à la Mostra de Venise, où il partage le Lion d’argent avec trois autres films. De peur d’ennuyer les spectateurs occidentaux, la Tōhō continua d’amputer le film, ce qui ne l’empêcha pas de rencontrer un grand succès de par le monde et de figurer régulièrement comme l’un des grands classiques de l’histoire du cinéma dans différents classements. Les scènes coupées concernent surtout le quotidien des paysans, leurs relations difficiles avec les mercenaires, qui les méprisent parfois : des coupures qui les rendent beaucoup plus sympathiques, mais réduisent la portée du regard humaniste de Kurosawa. Les Japonais virent le film dans sa durée originale, puis dans une version elle aussi raccourcie, ce qui ne nuisit aucunement à son grand succès national. Le film marquera les esprits de futurs grands réalisateurs américains, puisque John Sturges en fera une version « westernisée » à grand succès, Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven) en1960, imité par Martin Ritt, qui tournera le remake de Rashōmon, L’Outrage (The Outrage) en1964.
La version qui sort cet été, distribuée par The Jokers Films, est celle d’origine, récemment présentée lors du dernier Festival de Cannes, numérisée en HD et respectant le format de l’époque, le 1 : 1.37. On pourra y admirer la maestria du réalisateur, sa multiplication des focales cernant l’action au plus près ; ses cadrages très composés regroupant de manière serrée deux ou trois personnages ; ses très gros plans, où le jeu – muet – de l’acteur doit être décrypté par le spectateur ; la signifiance prégnante de ses éclairages (signés Asakazu Nakai, onze films avec Kurosawa) ; son montage au rythme varié, qui alterne les séquences de contemplation et celles, percutantes, des moments où l’action s’emballe, plus particulièrement lors de la bataille finale ; ses recours à de discrets fondus enchaînés et à des volets expéditifs, qui accélèrent le rythme ; ses mouvements de caméra fonctionnels ou expressifs (comme ses panoramiques ironiques qui suivent les samouraïs parcourant une rue dans des directions opposées, en quête d’employeurs), ainsi que son utilisation très occidentale de la composition musicale de son grand ami Fumio Haysaka, aux thèmes souvent conçus par rapport à des personnages précis. Et il va sans dire que l’imposante interprétation de Toshirō Mifune, l’acteur fétiche de Kurosawa (seize films ensemble) et celle, très intériorisée, de Takashi Shimura ont considérablement contribué à donner une dimension quasi mythologique au film tout au long de ses reprises. Cette nouvelle sortie ne pourra que prolonger le phénomène.

Michel Cieutat