Pour leur premier long-métrage, Lisa Akoka et Romane Guéret mettent en scène un film dans le film aux faux airs de documentaire. Les Pires a remporté le prix Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.
Dans Les Pires, Lisa Akoka et Romane Guéret reprennent le fil de leur court-métrage tourné il y a six ans, Chasse royale. Dans le nord de la France, à Boulogne-sur-Mer, quatre jeunes sont choisis pour participer au tournage d’un film. Si le court-métrage s’arrêtait à cette étape cruciale du casting, Les Pires en fait un point de départ dans une scène d’ouverture réussie, puis nous fait vivre le déroulé du tournage dans son intégralité. Nous ne verrons jamais le résultat final, mais l’aperçu donné fait somme toute assez peu envie et sonne comme une parodie du travail des frères Dardenne. Ce qui compte, c’est bien cette mise en abyme de la fabrication d’un film, qui permet de voir l’équipe et les comédiens alterner sans cesse entre leur réel et la fiction.
Johan Heldenbergh campe le cinéaste de ce film prétexte et compose un personnage d’une troublante ambiguïté. Il se révèle capable d’une douceur extrême à l’égard de ces jeunes aspirants comédiens et crée un lien sincère avec eux. Dans le même temps, il provoque une profonde gêne en dépassant certaines limites lors du tournage de scènes clés ou dans la proximité qu’il entretient avec ses acteurs et actrices. Le réalisateur devient manipulateur et Les Pires pose parfaitement les enjeux qu’induit un tournage avec des mineurs. Faut-il continuer à tourner quand une scène de bagarre devient une réelle humiliation ? Jusqu’où peut-on aller quand le cinéma et la vie se mêlent à ce point ?
C’est bien tout l’intérêt de cette mise en abyme : exprimer au sein même du film des questions morales qui habituellement ne font que graviter autour des œuvres. Ainsi, Les Pires inclut aussi dans son sein une réflexion sur ce tropisme du milieu du cinéma lorsqu’il s’agit d’un film mettant en scène des jeunes de banlieues défavorisées : pourquoi, justement, toujours choisir « les pires » ? Quelle image est-ce que cela renvoie d’eux ? Les réalisatrices ne répondent pas directement à ces questions, mais laissent entendre des points de vue forts et contradictoires au cœur du film. Même dans la trajectoire des personnages, nous pouvons entrevoir un positionnement. En effet, parmi les jeunes castés dans la première scène, certains s’illuminent grâce à ce tournage, d’autres au contraire semblent se mettre plus en retrait et ne pas accepter cette nouvelle expérience.
Enfin, s’il est assez récurrent d’être impressionné par la performance de jeunes acteurs et actrices dans des films qui les mettent autant en valeur, la bande constituée par les réalisatrices des Pires est passionnante à regarder. Lisa Akoka et Romane Guéret, sûrement de par leur expérience dans le casting et coaching des enfants, obtiennent de leurs jeunes comédiennes et comédiens une justesse troublante. Les scènes de groupe sont écrites et interprétées avec une finesse rare. Un acteur et une actrice crèvent particulièrement l’écran. Timéo Mahaut interprète Ryan, une boule d’énergie, refermé sur lui-même, dont l’expérience du tournage va peu à peu lui permettre de laisser sa sensibilité éclater au grand jour. Un peu plus âgée, Mallory Wanecque est brillante dans le personnage de Lily. Elle semble avoir déjà vécu plus que les autres et affiche une maturité déconcertante. Le tournage devient pour elle un espace où elle peut faire tomber cette confiance de façade, lieu où même le véritable amour devient possible. Il faut la voir passer d’un rôle à l’autre en un claquement de doigts à la manière d’une actrice professionnelle qui aurait travaillé l’exercice depuis des années. Leurs visages nous touchent et nous interrogent. Et s’impriment définitivement dans notre mémoire au cours d’une scène finale émouvante, qui brouille toute frontière entre fiction, réel et documentaire.