Mikhaël Hers monte d’un cran avec sa nouvelle chronique, lancée au dernier festival de Berlin. Il remonte le temps, mais précise son regard sur l’humanité, fébrile et vibrante, avec un casting qui touche au cœur.
Memory Lane, Ce sentiment de l’été et Amanda trouvent une prolongation évidente avec Les Passagers de la nuit, et la petite musique de Mikhaël Hers se déploie dans ce quatrième long-métrage romanesque et bouleversant. Coécrite avec Maud Ameline et Mariette Désert, cette épopée intimiste s’inscrit sur une temporalité de sept ans au cœur des années 1980, de l’arrivée au pouvoir de la gauche et de François Mitterrand, en mai 1981, à la fin de son premier septennat, le film se clôturant en 1988. Mais, bien loin de n’être qu’une reconstitution en mode poster sociologique, ou une analyse historico-politique, l’aventure recrée au contraire un cadre sensoriel vu d’aujourd’hui, pour mieux y raconter des tremblements existentiels. Ceux de personnages reliés par le lien familial et par les hasards du destin. Avec, au centre, une émotion. Grande, vivace, vibrante.
Élisabeth est une femme tout juste séparée de son mari, et esseulée face à sa nouvelle vie à apprivoiser, à réinventer. Avec ses deux enfants à la lisière de l’âge adulte, elle contemple la capitale par les baies vitrées de son appartement moderne du XVe arrondissement. Elle fait la rencontre d’une jeune provinciale, qu’elle recueille et qui fait craquer son garçon. C’est aussi l’histoire d’une mère et d’un fils qui ont un amour commun des mots et de l’écriture. C’est enfin un puzzle humain sur les questionnements, sur les aspirations, sur la transmission et sur l’engagement, du tâtonnement à la révélation. La sensibilité du cinéaste se coule dans la description de ses créatures cinématographiques, au gré des jours et des nuits. Il y a de la mélancolie dans ces découvertes successives, soumises à l’abandon des couches du passé, mais il y a surtout un appétit grandissant pour le présent en marche, et pour la promesse de l’inconnu.
La forme au lyrisme délicat épouse le propos. Le puzzle des différents supports d’images, 16 mm, 35mm, numérique, filtres, archives, extraits de films, crée une matérialité palpable, dans laquelle les personnages évoluent avec une légèreté pourtant profonde. La présence mise en abyme de Pascale Ogier et de Jacques Rivette résonne avec les cheminements des anti-héros et héroïnes dans Paris, et l’attachement de la mise en scène aux gestes, rituels et objets du quotidien magnifie en douceur les enjeux progressifs. La jolie ronde peut se former au son d’Et si tu n’existais pas de Joe Dassin, dont l’écho populaire emporte les merveilleux interprètes si finement choisis. Charlotte Gainsbourg rayonne comme jamais, avec les révélations Quito Rayon-Richter et Megan Northam, et les palpitations parfois blessées de Noée Abita, Thibault Vinçon, Laurent Poitrenaux, Didier Sandre et Emmanuelle Béart. Les Passagers de la nuit n’a rien d’un film noir, mais tout d’un cheminement lumineux.
Le système minuté
Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.