Un film bouleversant entre enquête et plongée dans les fragilités humaines, qui impactent un couple et une famille. Avec Damien Bonnard et Leïla Bekhti, plus vrais que vrais.
Une crique comme un petit coin de paradis. La mère sur la plage. Le père et le fils voguent en bateau au large. Le premier décide soudain de rentrer à la nage et le second, âgé de huit ans, prend la barre et retourne seul vers le rivage. Et puis, l’attente qui suit, l’angoisse qui sourd, jusqu’aux retrouvailles à la nuit tombée. Plus de peur que de mal, c’est ce qu’on dit dans ces cas-là. Mais cette ouverture, c’est sûr, annonce d’autres tempêtes, d’autres orages. D’autres ciels assombris.
Qu’est-ce qu’un couple aimant ? Qu’est-ce qu’une famille heureuse ? Et surtout, quel peut être l’insidieux grain de sable qui vient gripper la mécanique, rompre l’harmonie, mettre en danger l’amour ? Joachim Lafosse semble, avec Les Intranquilles, clore une trilogie démarrée en 2012 avec À perdre la raison et poursuivie quatre ans plus tard avec L’Économie du couple. Un état des lieux du sentiment mis à mal. Ici, Damien (Damien Bonnard) et Leïla (Leïla Bekhti), lui peintre renommé, elle restauratrice d’objets anciens, partagent, semble-t-il, un bonheur parfait. Perfection ne signifie pas tranquillité. Et le titre, le beau titre, déjà, nous a prévenus. Fantasque, passionné, possédé parfois, Damien jette sur la toile ses trop-pleins. Un artiste, après tout, pour créer a droit à sa folie… Et tout à coup, ça déborde. Il perd le sommeil, devient incontrôlable, ingérable.
Inscrit dans un décor de garrigues et de mer, dans une vaste maison qui porte en elle une promesse de vacances perpétuelles, l’état de Damien, dont le nom pathologique n’est donné qu’à la fin, épouse des météorologies changeantes. Troublantes. Filmés souvent très près, les personnages se repoussent et s’attirent, s’enlacent, se séparent et se reprennent. Jusqu’à ce que Leïla, figure de proue et phare, perde pied face à cet homme qui sans cesse « recommence ». Comme brûlé par un feu intérieur, Damien consume peu à peu tous ceux qui l’entourent. Et en premier lieu sa femme et son fils. Leïla s’épuise à rester debout, à tenir son homme à bout de bras, à rassurer leur enfant. Avec ses acteurs magnifiques portant leurs prénoms à l’écran, il y a comme une liberté d’être et de paraître, que la caméra saisit dans un mouvement perpétuel. La beauté du film, sa force et son prolongement, c’est d’envisager la psychose (qui pourrait tout aussi bien être une addiction, ou une violence conjugale) comme un chemin caillouteux parcouru par tous, avec ses faux espoirs et ses vraies déceptions. Il dépasse alors son propos pour raconter comment toute une cellule familiale est ainsi profondément impactée, mise en danger. C’est aussi inconfortable que puissant. Et c’est bouleversant.
Isabelle Danel